Quelle attitude adopter devant un réglage d’une telle précision ? Selon moi, nous avons le choix entre hasard et nécessité. Les partisans du hasard font appel à la théorie du « multivers » selon laquelle notre monde ne serait qu’une petite bulle parmi une infinité d’autres bulles dans un méta-univers. Chacun de ces univers-bulles posséderait sa propre combinaison de constantes physiques et de conditions initiales ; parmi eux, nul n’abriterait de vie consciente – car ils n’auraient pas la bonne combinaison –, hormis le nôtre qui, par le plus grand des hasards, posséderait la combinaison gagnante, et nous sommes là pour en parler. C’est comme si nous achetions tous les billets de loterie : l’un d’eux possède nécessairement le numéro gagnant. Il existe des théories scientifiques qui prédisent l’existence d’un multivers. Par exemple, l’une d’entre elles veut que chacune des innombrables fluctuations de la mousse quantique de l’espace-temps originel s’amplifierait pour donner naissance à une bulle-univers parmi une infinité d’autres dans un méta-univers. De leur côté, les partisans de la nécessité soutiennent qu’il n’y a pas lieu de postuler une infinité d’univers, que le nôtre est unique et que son réglage si précis pour l’apparition d’un observateur ne peut être le seul fait du hasard, mais est l’expression d’un principe organisateur subtil qui se manifeste dans les lois de la nature.
Pour l’heure, la science n’a pas les moyens de trancher entre ces deux hypothèses. Toutes deux sont compatibles avec ce que nous savons de l’univers. Il nous faut donc nous jeter à l’eau et parier, comme Pascal. Je parie pour ma part sur la nécessité, et cela pour plusieurs raisons. Avec nos télescopes, nous ne pouvons observer que notre univers. Postuler l’existence d’une infinité d’univers parallèles, totalement déconnectés du nôtre, et donc invérifiables, fait violence à ma sensibilité d’observateur du cosmos. Sans vérification expérimentale, la science a tôt fait de s’enliser dans la métaphysique. De surcroît, je souscris au principe d’économie appelé « rasoir d’Occam ». Or c’est aller à l’encontre de ce principe d’économie que de postuler une infinité d’univers aussi infertiles qu’invérifiables, juste pour en avoir un qui soit conscient de lui-même…
Autre raison pour laquelle je m’insurge contre l’hypothèse du hasard : je ne puis concevoir que toute la beauté, l’harmonie et l’unité du monde ne soient que le seul fait de la contingence, que la merveilleuse organisation du cosmos que je contemple avec mes télescopes n’ait aucun sens. L’univers est beau : des pouponnières stellaires aux galaxies spirales, des cimes enneigées aux vastes plaines verdoyantes, des couchers de soleil rougeoyants à la splendeur des nuits étoilées, du ciel bleu aux magnifiques aurores boréales, l’univers nous touche au plus profond de l’âme. Il est harmonieux car les lois physiques qui le régissent semblent ne varier ni dans l’espace ni dans le temps. Les lois qui dictent le comportement des phénomènes physiques sur Terre, petit grain de sable dans le vaste océan cosmique, sont les mêmes que celles qui règlent les galaxies les plus lointaines. Nous le savons, car les télescopes sont des machines à remonter le temps : voir loin, c’est voir tôt.
Enfin, il existe une profonde unité dans l’univers. À mesure que la physique a progressé, des phénomènes que l’on croyait totalement distincts ont pu être unifiés. Au XVIIe siècle, Newton unifie le ciel et la Terre : la même force de gravité universelle dicte aussi bien la chute d’une pomme dans un verger que le mouvement des planètes autour du Soleil. Au XIXe siècle, Maxwell montre que l’électricité et le magnétisme ne sont que deux facettes d’un même phénomène : en prouvant que les ondes électromagnétiques ne sont autres que des ondes lumineuses, il unifie l’électromagnétisme et l’optique. Au début du XXe siècle, Einstein unifie le temps et l’espace, la masse et l’énergie. À l’aube du XXIe siècle, les physiciens travaillent d’arrache-pied à unifier les quatre forces fondamentales de la nature (la force de gravité, la force électromagnétique et les deux forces nucléaires forte et faible) en une seule superforce. L’univers tend vers l’un.