Le père du télescope spatial Hubble
Parmi les nombreux accomplissements de Spitzer au cours de sa longue et fructueuse carrière scientifique, le plus connu du grand public est sans doute le télescope spatial Hubble. Dès la fin des années 1940, Spitzer avait déjà conçu l’idée de mettre en orbite au-dessus de l’atmosphère terrestre un grand télescope pour étudier l’univers. Personne n’y croyait, car c’était une bonne quinzaine d’années avant le lancement du premier satellite artificiel, Spoutnik, en 1957. Il lui fallut des décennies pour convaincre la communauté astronomique de l’intérêt du projet et pour persuader le Congrès américain de le financer. Ses efforts finirent par payer. Depuis sa mise en orbite en 1990, Hubble n’en finit plus de nous envoyer des images aussi magnifiques que riches d’informations. Non seulement elles nous donnent accès à la splendeur d’un monde générateur d’émotions et de rêves qui enrichit notre imaginaire, mais elles font considérablement progresser notre connaissance de l’univers.
Le télescope Hubble est sans nul doute l’observatoire le plus grand et le plus complexe jamais envoyé dans l’espace. Son lancement fut un moment aussi décisif pour l’astronomie que celui où Galilée braqua la première lunette astronomique vers le ciel en 1609, ou que celui de la mise en orbite de Spoutnik autour de la Terre. D’un coût de neuf milliards de dollars (incluant celui de plusieurs missions de réparation du télescope avec la navette spatiale), c’est aussi l’un des instruments scientifiques les plus chers jamais construits. Aller au-dessus de l’atmosphère terrestre présente deux avantages : l’univers se révèle à travers toute sa palette de lumières (rappelons que l’atmosphère terrestre ne laisse passer que les lumières visible et radio), et, par ailleurs, le message lumineux qui vient du cosmos n’est plus déformé par la turbulence de l’atmosphère, nous permettant d’obtenir des images d’une parfaite netteté. Hubble nous permet ainsi de voir l’univers avec au moins dix fois plus de détails et trente fois plus de sensibilité que les plus grands télescopes au sol. De la taille d’une locomotive (treize mètres de long sur douze mètres de large quand les panneaux solaires sont déployés) et d’un poids de douze tonnes et demie, Hubble fait le tour de la Terre toutes les quatre-vingt-quinze minutes à une altitude de quelque six cents kilomètres.
Je l’utilise souvent. Bien sûr, la compétition pour disposer du télescope spatial est féroce. Je dois passer maintes journées à préparer et peaufiner ma demande, à réunir tous les arguments scientifiques qui pourront convaincre un comité d’experts rassemblés par la NASA pour évaluer les demandes qui viennent du monde entier. Une note est assignée à chacune, et en général seules 15 à 20% d’entre elles se voient acceptées. Les candidats malchanceux devront attendre l’année suivante pour postuler de nouveau. Quant aux heureux élus, ils leur faudra préparer un programme informatique pour donner des instructions à Hubble (où pointer le télescope, pendant combien de temps, quel détecteur utiliser, etc.). Ce programme sera envoyé via Internet à la NASA, qui exécutera les observations. Une fois celles-ci effectuées, les données seront transmises au sol et traitées de façon préliminaire par la NASA puis envoyées à l’astronome concerné. Je peux ainsi visionner les observations de Hubble sur l’écran de mon terminal à l’université de Virginie. Inutile de dire que mon cœur bat la chamade chaque fois que j’en reçois, à l’idée de percer peut-être un nouveau secret de l’univers.
J’ai invariablement une pensée émue pour mon directeur de thèse, aujourd’hui décédé, lorsque je contemple un cliché de Hubble. La NASA n’a pas donné son nom au télescope spatial, voulant, à juste titre, d’abord honorer le découvreur des galaxies et de l’expansion de l’univers. Mais un autre grand télescope spatial fonctionnant dans l’infrarouge et lancé en 2003 porte aujourd’hui le nom de Spitzer.
En lui, j’ai eu la chance d’avoir une fois de plus un maître exceptionnel. Spitzer m’a appris à aiguiser mon intuition scientifique et à utiliser au mieux mon bagage technique pour affronter les problèmes en astrophysique. Je ne le voyais qu’une heure par semaine, car il était extrêmement pris par ses nombreuses occupations de directeur de département et ses multiples obligations dans des comités scientifiques nationaux et internationaux. Sans compter les innombrables voyages à Washington pour convaincre le Congrès de voter les fonds destinés au télescope spatial. Mais en une heure j’apprenais bien plus avec lui qu’en une semaine avec des scientifiques de moindre calibre. Après une année de travail acharné, j’ai soutenu ma thèse à Princeton en juin 1974.