L’impermanence au cœur de la réalité
Pour le bouddhisme, l’interdépendance est intimement liée à l’impermanence des phénomènes. L’univers n’est pas fait d’entités solides et distinctes, il est comme un vaste flux d’événements changeants et mouvants, et de courants dynamiques en perpétuelle évolution, tous interconnectés et interagissant continuellement. Nous percevons tous l’impermanence « grossière » : nos émotions qui fluctuent, les saisons qui passent, les châteaux non entretenus qui tombent en ruine, les montagnes qui s’érodent, les changements de notre corps au fil de la vie… L’impermanence « subtile » est moins évidente pour nos sens, quoiqu’elle se manifeste partout, à l’échelle du plus petit intervalle de temps concevable : à chaque moment infinitésimal, tout ce qui semble exister se transforme. Ce concept de changement perpétuel et omniprésent rejoint ce que dit la cosmologie moderne : tout bouge, tout change, tout évolue, tout est impermanent, du plus petit atome à l’univers entier en passant par les galaxies, les étoiles et les hommes.
Propulsé par une déflagration primordiale, l’univers est en expansion. Parti d’un état extrêmement petit, chaud et dense, il s’agrandira, se refroidira et se diluera de plus en plus. Avec la théorie du big bang, l’univers a acquis une histoire. Il a un commencement, un passé, un présent et un futur. Les dernières observations nous disent que son expansion se poursuivra jusqu’à la fin des temps et qu’il mourra un jour dans un froid glacial. Toutes les structures de l’univers – planètes, étoiles, galaxies ou amas de galaxies – sont en mouvement perpétuel et participent à un immense ballet cosmique : mouvement de rotation autour d’elles-mêmes, révolutions, éloignement ou rapprochement les unes des autres. Elles aussi ont une histoire : elles naissent, évoluent et meurent. Les étoiles suivent des cycles de vie et de mort qui se mesurent en millions, voire en milliards d’années. Au moment où j’écris ces lignes, la Terre nous entraîne à travers l’espace à trente kilomètres par seconde dans son voyage annuel autour du Soleil. Celui-ci emmène à son tour la Terre dans son périple autour de la Voie lactée à deux cent trente kilomètres par seconde. La Voie lactée tombe elle-même à quatre-vingt-dix kilomètres par seconde vers sa compagne Andromède. Et ce n’est pas fini : le Groupe local qui contient notre galaxie et Andromède tombe à quelque six cents kilomètres par seconde, attiré par l’amas de la Vierge et par le superamas de galaxies le plus proche du superamas local, celui de l’Hydre et du Centaure. Le ballet ne s’arrête pas là : ce dernier tombe quant à lui vers une grande agglomération de dizaines de milliers de galaxies appelée le « Grand Attracteur ». Le ciel statique et immuable d’Aristote est bel et bien mort. Tout n’est qu’impermanence, changement et transformation.
Le monde atomique et subatomique n’est pas en reste. Là aussi, tout est impermanence. Les particules peuvent changer de nature : un quark (brique fondamentale de la matière) peut changer de famille ou de « saveur », un proton peut devenir un neutron avec émission d’un positon (l’antiparticule de l’électron) et d’un neutrino. Par des processus d’annihilation avec l’antimatière, la matière peut se muer en énergie pure. Le mouvement d’une particule peut se transformer en particule, et vice versa. En d’autres termes, la propriété d’un objet peut se transformer en objet. Grâce au flou quantique de l’énergie, l’espace qui nous entoure est peuplé d’un nombre inimaginable de particules dites « virtuelles », à l’existence fantomatique et éphémère. Apparaissant et disparaissant dans des cycles de vie et de mort d’une durée infinitésimale, elles incarnent l’impermanence au plus haut degré.
Il existe ainsi des convergences remarquables entre les visions scientifique et bouddhiste du réel. Il subsiste cependant une question à propos de laquelle le bouddhisme peut entrer en conflit avec la cosmologie moderne. Elle a trait aux origines de l’univers et au fait que ce dernier a été réglé de façon étonnamment précise pour permettre l’apparition de la vie et de la conscience.