Le monde n’est pas un rêve et la lumière est son messager
La science résulte de la confrontation de l’homme avec le réel. Elle se nourrit sans cesse d’observations et d’informations tirées de la nature par des moyens divers, des expériences de laboratoire aux instruments d’observation les plus perfectionnés. Le point de départ de toute aventure scientifique est donc le fait que le monde existe bel et bien, qu’il n’est pas un produit de notre imagination. Le monde n’est ni un rêve ni une illusion. Qu’il existe est un fait étonnant : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » s’interrogeait déjà le philosophe allemand Gottfried Leibniz. Le fait qu’une réalité est bien là stimule chez le chercheur le désir d’entrer en relation avec elle et ouvre la possibilité de la connaissance du monde, donc de la science.
L’astronomie est la seule science où nous ne pouvons pas faire d’expériences : nous ne pouvons ni recréer le big bang en laboratoire ni concocter des étoiles dans des éprouvettes. Alors comment connaître l’univers ? La lumière vient à notre secours. Elle est le messager du cosmos par excellence. Elle est ma compagne. C’est elle qui me permet de communiquer avec le cosmos et de l’étudier. C’est elle qui véhicule les fragments de musique et les notes éparses de la mélodie secrète de l’univers que l’homme tente de reconstituer dans toute sa glorieuse beauté.
La lumière joue le rôle de messager cosmique grâce à trois propriétés fondamentales. D’abord, comme je l’ai déjà dit, elle ne se propage pas instantanément, mais met un certain temps pour nous parvenir. Dès lors, nous voyons l’univers toujours avec du retard, et les télescopes nous donnent la possibilité de remonter le temps et de reconstituer le passé.
La lumière porte également en elle un code cosmique qui, une fois déchiffré, nous permet d’accéder au mystère de la composition chimique des étoiles et des galaxies, ainsi qu’au secret de leurs mouvements. Et cela parce que la lumière interagit avec les atomes qui composent la matière visible de l’univers. La lumière n’est en effet perceptible que si elle interagit avec un objet. Comble du paradoxe, elle qui éclaire tout est par elle-même invisible. Pour qu’elle se manifeste, il faut que son trajet soit intercepté par un objet matériel, que ce soient les pétales d’une rose, les pigments colorés sur la palette d’un peintre, la rétine de notre œil ou le miroir d’un télescope. Dépendant de la structure atomique de la matière avec laquelle elle interagit, la lumière est absorbée à certaines énergies très précises. De sorte que si nous obtenons le spectre de la lumière d’une étoile ou d’une galaxie – en d’autres termes, si nous la décomposons avec un prisme en ses différentes composantes d’énergie ou de couleur –, nous découvrons que ce spectre n’est pas continu, mais haché en de nombreuses raies d’absorption verticales, correspondant aux énergies qui ont été absorbées par les atomes. La disposition de ces raies n’est pas aléatoire, mais le fidèle reflet de l’arrangement des orbites des électrons dans les atomes de matière. Cet arrangement est unique pour chaque élément. Il constitue une sorte d’empreinte digitale, de carte d’identité de l’élément chimique qui permet à l’astrophysicien de le reconnaître sans équivoque. C’est ainsi que la lumière nous dévoile la composition chimique de l’univers.
La lumière permet aussi d’étudier les mouvements des astres. Car rien n’est immobile dans le ciel. La gravité fait que toutes les structures de l’univers – étoiles, galaxies, amas de galaxies… – s’attirent et « tombent » les unes vers les autres. Ces mouvements de chute s’ajoutent au mouvement général d’expansion de l’univers. Tout est mouvement et changement. L’immuabilité aristotélicienne des cieux est bien morte. Nous ne percevons pas cette agitation frénétique parce que les astres sont trop distants, et notre vie humaine trop brève. C’est de nouveau la lumière qui nous révèle cette impermanence du cosmos. Elle change de couleur quand la source lumineuse bouge par rapport à l’observateur. Elle se décale vers le rouge (les raies d’absorption verticales sont déplacées vers de moindres énergies) si l’objet s’éloigne, et vers le bleu (les raies d’absorption verticales sont déplacées vers des énergies plus élevées) si l’objet s’approche. C’est en mesurant ces décalages vers le rouge ou vers le bleu que l’astronome parvient à reconstruire les mouvements cosmiques.
En collectant la lumière du cosmos grâce à ces gigantesques réceptacles que sont les télescopes, je tente de déchiffrer la mélodie secrète de l’univers, d’avoir des ébauches de réponse et d’y voir un peu plus clair. Mon cœur bat toujours à grands coups quand le dessin exquis des bras spiraux d’une galaxie à des milliards d’années-lumière s’esquisse sur l’écran qui relaie le télescope. La lumière me connecte au cosmos. Elle me permet de remonter dans le passé jusqu’à des temps immémoriaux, et de voir le monde en train de naître{7}.