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Quand Sam retrouva Fantôme et ses guerriers au point de rendez-vous, ce fut pour apprendre que la gente dame Tsung n’avait pas besoin de chevalier servant. L’Indien et elle se parlaient par radio.

Fantôme passa le micro à Verner.

— Où es-tu ? demanda celui-ci.

— Au-dessus des nuages ! Dodger nous a réservé un hélico avec un pilote très coopératif. On se pose dans vingt minutes près de Hillary.

— Je vais m’arranger pour que Cog envoie une voiture, dit Fantôme. Sally, tout va bien ?

— Willy, Vagabond et Œil de Faucon sont allés retrouver leurs ancêtres. Pour les autres, ça peut aller…

Sally, terminé.

Sam soupira de soulagement. La magicienne étant libre, il n’allait pas devoir se frotter à Renraku. Ça valait mieux : avec la « ruse » de Jacqueline, Samuel Verner était maintenant l’ennemi numéro un de la Corpo.

C’est curieux… Je m’en fous complètement !

Sally et les autres étaient sa vraie famille. Il avait quitté pour de bon le cocon de Renraku. Fantôme le tira de sa rêverie :

— Comment es-tu sorti des dock d’United Oil, Visage Pâle ?

— Hart m’a aidé. J’ignore pourquoi.

— Haesslich doit être mort…

— Nous l’avons vu s’abîmer dans le détroit. Je ne crois pas qu’il en soit ressorti. Et toi ?

— On était trop pressés de filer pour regarder…

Leur conversation fut interrompue par l’arrivée de Dodger.

L’elfe avait l’air quelque peu hagard, mais il souriait. Fantôme et lui se congratulèrent. Puis le decker se tourna vers Sam :

— Messire Twist, je suis ravi que tu sois toujours parmi nous. Ton plan a failli virer à la catastrophe, mais tout est bien qui finit bien. Ceci dit, ne me demande plus jamais de m’aventurer dans la Matrice de Renraku.

— Je croyais que tu étais le roi des deckers ? Tu vieillis, Dodger ?

— Que non pas, mon bon prince ! Mais je n’aime pas ce qu’on rencontre dans ce coin-là de la Grille.

— Pardon ?

— Une intelligence artificielle rôde dans les fichiers de Renraku. La Corpo ne la contrôle pas.

— Dodger, tu délires ?

L’elfe lui raconta son aventure dans la salle de verre. Verner n’aurait pas cru un mot de l’histoire si quelqu’un d’autre la lui avait racontée. Mais là…

— Tu es sûr que c’était réel ? demanda-t-il.

— Aussi réel que tout ce qu’on croise sous le ciel de la Grille.

— En tout cas, ça n’était assez futé pour te piéger !

— Par bonheur, mon ami. Par bonheur…

Le visage de l’elfe s’illumina quand Sally et les survivants du raid arrivèrent.

Sam la serra dans ses bras pendant qu’Inu aboyait autour d’eux. Les deux jeunes gens s’embrassèrent avec passion.

Quand ils se séparèrent, les guerriers accoururent pour entendre le récit de la magicienne.

Sam chercha Fantôme du regard. Il était introuvable…

Les shadowrunners échangèrent des histoires d’héroïsme et de mort. Verner s’éloigna, Inu sur les talons. Dodger vint le rejoindre.

— Alors, messire Twist, on boude la victoire ?

— Quelle victoire ? La mort n’est pas la seule punition du meurtre. Le cycle continue, Dodger. Le sang appelle le sang.

— Faux, sire le moraliste ! L’épée de la justice a frappé. Les spectres de Hanae, de Begay et des runners tués à la frontière de Tir approuvent ce que nous avons fait.

— C’est ça que tu nommes « victoire » ?

L’elfe éclata de rire.

— Fichtre non ! Notre victoire est la seule qui compte vraiment : nous avons survécu. Allez, viens, nos amis s’en vont…

Sam regarda l’étrange procession de guerriers que conduisait Sally Tsung. Ces hommes étaient sales et couverts de sang. Tous avaient perdu des amis chers. Pourtant, ils riaient aux éclats, heureux d’avoir vaincu la mort.

Quand plusieurs des guerriers entonnèrent une mélopée, des échos de la chanson de Chien remontèrent à la conscience de Verner. Il comprit que cette mélodie célébrait la vie, comme celle des braves de Fantôme.

La vie ! Quelques heures plus tôt, face à Haesslich, Sam était passé à un doigt de sa fin. Il avait survécu pour retourner dans les ombres, où l’existence se jouait chaque jour à pile ou face.

Il partagea la joie des guerriers. L’Enfer n’avait pas voulu de lui aujourd’hui ; c’était une grande nouvelle.

Une merveilleuse nouvelle !

L’ancien corporatiste sentit son sang bouillir dans ses veines. S’écartant de Dodger, il se lança dans une danse sauvage dont il inventait les pas à chaque seconde. Inu se mit à tourner autour de lui, presque aussi excité.

— Viens, Dodger ! Ne faisons pas attendre la gente dame !

— Non… Il ne faut jamais la faire attendre… L’elfe, Sam et le chien se lancèrent à la course pour rattraper la magicienne.

Bien entendu, Inu gagna…