18

Sam n’en revenait pas d’être encore vivant.

Les flammes avaient jailli autour de lui, embrasant les arbres et ses vêtements. Rendu fou par la douleur, il avait dû courir à l’aveuglette avant de tomber dans la rivière où il gisait à présent, à moitié immergé. L’eau l’avait sauvé. Tous ses muscles étaient douloureux, mais il vivait.

Peu de gens pouvaient se vanter de survivre après une rencontre avec un mage de combat.

Il n’était pas resté inconscient longtemps. Pas très loin de lui, quelqu’un parlait. Sans doute le mage qui les avait carbonisés. L’elfe était si sûr de son pouvoir qu’il n’avait pas cru bon de chercher les cadavres.

Sam tendit l’oreille.

— J’ai nettoyé le terrain, Grian.

— Capté, répondit une voix qui avait l’air de sortir d’une radio. Le véhicule brûle. Il y a au moins trois morts. Impossible de vérifier pour le moment. La clairière est en flammes.

— Tu veux que je fasse une reconnaissance au sol ?

— Négatif. Tu connais le règlement, Rory. Personne ne va seul dans une zone dangereuse. En plus, tu as puisé dans ton pouvoir, et…

— Je suis frais comme une rose, Grian. Ces shadowrunners n’étaient pas si terribles. Le rapport exagérait, comme toujours. J’ai carbonisé le renégat de Renraku en dernier. Je ne vois pas son corps. Laisse-moi faire une reconnaissance.

— Rory, fonce au point de rendez-vous. C’est un ordre. Nous reviendrons tous ensemble.

— Tu me prends pour un bon à rien ? Je suis un mage de première catégorie, Grian !

— Ce n’est pas la question. J’ai perdu un appareil. Ça suffit pour aujourd’hui. Bouge tes fesses, Rory. On t’attend !

— Compris, marmonna le mage.

A sa voix, il était fou de rage.

Sam eut soudain peur qu’il n’obéisse pas à son chef. S’il s’entêtait à vouloir compter les morts, c’en était fini du renégat.

Il décida de ne pas bouger. Au moindre bruit, l’elfe oublierait les ordres. Sans sollicitation, il s’y plierait peut-être.

D’interminables minutes passèrent.

Allez, Sam, debout. Il est parti…

Il se leva, heureux de fuir l’eau boueuse. Par réflexe, il regarda sa montre. Elle n’avait pas survécu au choc… Dégoûté, il l’ôta et la jeta dans l’herbe.

Il revint à pas de loup au campement dévasté. Pas de mage en vue.

Les bosquets ne brûlaient plus. La carcasse du van fumait encore. Les restes de Kurt gisaient dans une mare de sang. Chien Noir était couché près du véhicule, la moitié de la tête arrachée. Il devait y avoir des morceaux de Sloan un peu partout…

Hanae était dans le van, morte.

En avançant, Sam faillit marcher sur le cadavre de Chin Lee.

Il était seul.

Roe, où es-tu ?

Morte ou enfuie, la shadowrunner était très loin de là.

Un hurlement monta du silence. Un autre lui répondit.

C’était bien un loup que j’ai entendu, tout à l’heure…

Sam ramassa le fusil d’assaut de Chin Lee, tombé à côté du cadavre. S’il y avait des loups, il lui fallait de quoi se défendre. Mais il se promit de ne jamais utiliser l’arme contre ses semblables, qu’ils fussent normaux ou métamorphosés.

Verner jeta un dernier regard sur la clairière. S’il restait pour enterrer ses compagnons, les elfes lui tomberaient dessus. Il n’avait pas le choix.

Il prit une direction au hasard…

* * *

Après une folle course, Sam se retourna dans l’herbe, épuisé. Tout son corps était douloureux. Mais il fallait qu’il sache si les elfes le poursuivaient.

Il se leva, le cœur battant la chamade.

Il fallait qu’il sache.

Ivre de fatigue, il rebroussa chemin…

* * *

Sans savoir comment, il se retrouva caché derrière un arbre, à la lisière de la clairière.

Grian et les autres membres de l’escouade inspectaient la zone de combat. Leurs voix parvenaient aux oreilles de Sam comme les échos d’un rêve.

— Le bilan, Grian ? demanda Rory.

— Deux morts dans le véhicule. Probablement les deux femmes. Quatre macchabées dans le campement. Un ork et trois normaux. Il manque le renégat.

— Je l’ai eu ! assura Rory.

— Il faut quand même chercher son cadavre… Tout l’équipement cybernétique du van est foutu. Dommage… Ehran aurait aimé y jeter un coup d’œil.

— Tu es sûr qu’il n’y a rien de sauvable ?

— On croirait qu’un dragon s’est assis dessus…

— Tant pis… En tout cas, on a fait un joli carton !

— Ne parle pas de carton avant qu’on ait retrouvé ton type…

— Alors, allons-y. Il est parti par là.

Ils traversèrent un sous-bois à demi carbonisé et arrivèrent devant la rivière.

— Je ne vois pas de corps, Rory ! (Le mage jura dans sa barbe.) Bran, viens par ici ! Nous avons besoin d’un pisteur. Notre génial sorcier a manqué son coup !

Quand le nommé Bran arriva au pas de course, il trouva Grian occupé à ramasser un objet dans l’herbe.

— Une montre… Le renégat est passé par là… Rory s’approcha.

— Regarde, elle est carbonisée ! Il ne peut pas être vivant…

Grian l’ignora.

— Jette un coup d’œil, Bran. Essaye de trouver une piste.

L’elfe acquiesça et s’éloigna. Il revint dix minutes plus tard.

— Je crois qu’il n’y a pas de souci à se faire, annonça-t-il.

— Pourquoi ?

— J’ai repéré les traces d’un Cheval Aquatique, à trois cents mètres en aval. La piste du renégat s’arrête là…

— Ce n’est pas étonnant ! Notre homme doit reposer par cinq mètres de fond. Les Chevaux Aquatiques adorent faire des réserves…

— Alors on peut l’inscrire à notre tableau de chasse ? demanda Rory.

— Bien sûr. Il ne peut pas avoir survécu. Et le Cheval ne viendra pas se plaindre…

— Je crois que nous n’avons plus rien à faire ici, dit le mage, vexé d’avoir manqué son coup.

— Exact. La patrouille régulière nettoiera le terrain demain matin. On rentre, les gars.

En passant près de la carcasse du van, Bran pianota sur le mini-clavier d’un petit appareil qu’il posa ensuite sur le sol.

Puis tous regagnèrent leur hélico.

Sam les vit s’éloigner à travers l’étrange voile qui couvrait ses yeux.