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Comme Begay l’avait promis, la traversée de Tir Tairngire se déroula sans difficulté. Ils se permirent de voyager de jour, donnant ainsi à Verner l’occasion d’admirer la forêt restaurée par la magie.

Malgré la beauté du spectacle, l’intervention du surnaturel gâchait tout pour Sam.

Une seule preuve que la magie est réelle, ça fait déjà une de trop !

Sortis de Tir Tairngire, ils roulèrent de nuit. Begay jugeait cela plus prudent. Sam le crut sur parole. C’était lui le professionnel.

Au milieu de l’ex-Idaho, un hélico du Conseil Salish-Shidhe les prit en chasse ; Begay réussit à le semer en se cachant dans les canyons de la Rivière du Serpent.

Après cette alerte, le Navajo décida d’utiliser l’avion monoplace « ultra-léger » fixé sur le toit du panzer. Commandé par interface, le petit appareil, baptisé Aigle par Begay, faisait office de radar.

A l’aube, quand Begay décida de bivouaquer, la défaillance d’une puce dans le tableau de bord cybernétique du panzer envoya l’Aigle s’écraser près de la rivière.

Ils perdirent la moitié de la nuit suivante à le récupérer.

— Trop cher pour que je reparte sans lui ! avait déclaré l’interfacé.

L’incident leur valut du retard ; ils n’atteignirent qu’à l’aube suivante le bidonville du Réservoir Dworshak.

Begay gara le panzer dans une étable délabrée dont deux grands types avaient ouvert les portes suite à ses coups de klaxon.

L’intérieur ne collait pas avec l’extérieur. Le sol était en ciment ; un revêtement plastifié couvrait les murs. Il y avait des outils partout. Verner remarqua un grand réservoir.

— Tout le monde descend, annonça Begay. Quand ils furent sortis, une demi-douzaine d’indigènes, des orks pour la plupart, approchèrent.

— Le plein ! ordonna Begay.

Un ork en salopette s’avança. L’interfacé et lui échangèrent une franche poignée de main.

— Twist, je te présente Thumper Collins, le meilleur mécanicien de l’Ouest…

— Le deuxième, rectifia l’ork. Ne crois pas tout ce que dit ce Navajo, mon gars. Willy Stein travaille toujours avec les gars de Cascade. (Il tendit la main à Sam.) Ravi de te connaître, Twist.

Verner serra la main calleuse de l’ork.

— Enchanté, Thumper…

L’ork s’intéressa de nouveau à l’interfacé.

— Josh, ton monoplace en a pris une sale coup, on dirait…

— Une puce en rideau au mauvais moment…

— Je peux réparer la casse, c’est sûr. Mais changer la puce… Je n’ai pas ce genre de matériel en stock. Quant à la configurer…

— Thumper, j’ai besoin de l’Aigle !

— Begay ! appela Sam. (Il attendit que le Navajo daigne tourner la tête.) Je me trompe, où ton monoplace a aussi des commandes manuelles ?

— Tu ne te trompes pas, Twist. Il fut un temps où je n’étais pas interfacé. J’ai gardé les commandes manuelles…

— … Au cas où il faudrait lever le camp en vitesse, compléta Thumper.

— Sacré Thumper, il faut toujours que tu l’ouvres ! grogna Begay sans grande conviction.

— Ecoute, dit Sam, j’ai un peu touché au pilotage. Mon vieux Flutterer ressemblait à ton ultra-léger. Si tu as besoin d’un éclaireur, je peux m’en charger.

— Tu es un type surprenant, Twist. Bientôt tu me diras que tu es magicien. (Le Navajo éclata de rire.) Tu n’es pas un foutu sorcier, hein ? Sinon, nos chemins se séparent ici.

Sam ne répondit rien. Ses lèvres esquissèrent un demi-sourire. Thumper le tira involontairement d’embarras :

— Si c’était un sorcier, Josh, il n’aurait pas besoin de ton aide…

— Qu’est-ce que t’en sais ?

Les deux vieux amis se lancèrent dans une discussion serrée sur la magie, chacun prétendant en savoir plus que l’autre. Sam saisit l’occasion d’aller traîner ailleurs.

Il n’avait aucun envie de finir la route à pied.

* * *

Katherine Hart introduisit son créditube dans le réceptacle du téléphone public. Elle composa le numéro et attendit.

— J’écoute…, dit une voix.

— Jenny, c’est Katherine. Je suis à Boise, sur le territoire du Conseil Salish-Shidhe. J’ai manqué Verner à San Francisco…

— Pas de chance…

— Je te passe les détails de mon voyage… En graissant quelques pattes, j’ai appris qu’un hélico salish-shidhe a coursé un panzer près de la Rivière du Serpent. Bien entendu, le Thunderbird a réussi à le semer. A mon avis, Verner fonce vers le Québec.

— Ça se tient… Tu penses qu’il va traverser la Nation Sioux ?

— Exactement. Je ne suis pas à l’aise hors des villes. Dis à notre ami ailé de me rejoindre à Idaho Falls…

— Compris, chef. Il arrive…