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L’icône pirate de Dodger courait dans le dédale informatique de l’ordinateur en charge du trafic aérien du métroplexe. Bluffée par toute une gamme de faux numéros d’identification, la glace la laissait passer ou ne s’apercevait pas qu’elle était là.

A dix heures quarante-deux, une navette devait atterrir sur l’aire 23 de Renraku.

Dodger cherchait les circuits qui contrôlaient la sécurité de cette aire. Le plan de Sam était classique : désactiver les alarmes, endormir la surveillance tridéo en envoyant des images-leurres, et attaquer à la vitesse de l’éclair.

D’abord, il fallait trouver les bons circuits.

L’icône saisit des données sur un écran virtuel où s’afficha un diagramme du système de sécurité de toutes les aires de Renraku.

En quelques secondes, Dodger eut les informations qu’il cherchait. Puis les contours des objets semblèrent trembler devant les yeux de l’icône. Songeant à une nouvelle variété de glace, Dodger fit faire demi-tour au pantin virtuel qui lui prêtait sa forme.

Une silhouette d’ivoire enveloppée dans un manteau étincelant se matérialisa devant lui. C’était une femme sans visage, comme l’icône de l’elfe. Pourtant…

— J’ai toujours eu en moi l’espoir de ton retour…, dit-elle.

Dodger ne put trouver les mots pour répondre.

Les doigts du pantin virtuel coururent sur un autre clavier irréel. Il fallait échapper à ce nœud informatique !

— J’ai toujours eu en moi le désir de ta compagnie…

Jamais Dodger n’avait entendu plus douce voix chez une femme de chair. Elle tendit la main et lui caressa la joue.

— Viens.

Et ils se retrouvèrent ailleurs…

Ce nouvel espace n’avait ni entrée, ni sortie. Les murs, le plafond et le sol étaient faits de petits carreaux de verre. Debout au centre de l’étrange salle, drapée dans son manteau, la femme d’ivoire était presque invisible. Tout ce que Dodger voyait, c’était sa tête.

Elle n’avait pas de cheveux, pas d’yeux, de nez ou de bouche. Le decker était pourtant sidéré par sa beauté et sa féminité.

Une cyber-sirène qui l’appelait, quêtant son âme, son amour, sa vie…

— Il n’est pas là tout entier, tu sais, dit une nouvelle voix.

Dodger perçut la présence d’une troisième personne. Une femme, à en juger par ses longs cheveux platine.

— Qui es-tu, Rêve de Verre ?

— Mes amis m’appellent Jenny. Tu dois être Dodger ?

— Je plaide coupable, dame Jenny ! Tu sais où nous sommes, et qui elle est ?

— Elle ?

— Notre gracieuse hôtesse…

— Tu devrais vérifier ton cyberdeck, Dodger. Gracieuse n’est pas le mot que j’utiliserais pour le plus horrible sorcier que j’aie vu de ma vie.

Dodger écouta Jenny sans perdre de vue leur hôtesse. Des phénomènes de ce type n’étaient pas habituels dans la Matrice…

— Mes interfaces sont en parfait état, Jenny. Je crois que nous sommes en présence de… l’histoire !

— Sensas !… Je voudrais seulement rentrer chez moi…

— Chez moi, répéta une jolie voix de contralto. Dodger aurait parié que Jenny entendait celle d’un baryton.

Sur un mur dansa soudain l’image de Holly Brighton, la grande étoile internationale.

— Je suis tellement contente que vous ayez pu venir ce soir, dit-elle avant que ses lèvres se figent.

Sur le mur opposé, apparut l’image d’un vieil homme debout sur une scène devant un rideau.

— Nous vous avons mijoté un super-spectacle, les amis, déclara-t-il avant de se figer à son tour.

Tous les panneaux se divisèrent en petits écrans où défilaient une multitude d’images apparemment choisies au hasard. Toutes s’arrêtaient peu à peu sur une seule et même vue.

Quand ce fut terminé, Dodger se retrouva encerclé par plusieurs milliers de plans de l’aire d’atterrissage 23.