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Beaucoup plus tard, quand Sam se réveilla, il trouva Dodger assis au pied de son lit. L’elfe le regardait ; il avait les yeux rouges à cause du manque de sommeil. Ses vêtements étaient fripés. A l’évidence, il veillait depuis longtemps. Ça signifiait que Sam avait beaucoup dormi.

La veille, Dodger et lui s’étaient introduits dans le réseau de Renraku. Sachant chercher, Verner avait eu vite fait d’établir que la Corporation n’était pour rien dans le massacre de la frontière de Tir Tairngire. Si Tessien le dracomorphe avait travaillé pour la firme, le fichier médical aurait automatiquement contenu un dossier au nom du traître. C’était un bogue du système que Sam et Jiro avaient découvert par hasard : tous les employés de la Corpo, aussi officieux fussent-ils, avaient un curriculum médical accessible à un fureteur doué.

Sam se dressa sur un coude.

— Tu étais censé me réveiller…, grommela-t-il.

— Tu avais besoin de dormir, messire Twist.

— J’ai dormi combien de temps ?

— Environ vingt heures.

— Et toi ?

— J’avais plus urgent à faire…

— Quelque chose a mal tourné ?

— Non… Je voudrais te faire rencontrer quelqu’un…

— Qui ? Et pourquoi ?

— Cet homme pourrait t’aider.

— Dodger, tu ne réponds pas à mes questions !

L’elfe soupira.

— C’est que je n’ai pas de réponses, rien que des questions.

— De quoi tu parles, bon sang ?

— De toi, messire Corpo.

— Arrête de t’exprimer par énigmes. Tu me donnes mal à la tête…

— Tes migraines sont une part du problème… Ta douleur et ta désorientation, quand tu pénètres dans la Matrice, ne sont pas normales. Ton implant céphalien est le meilleur du marché. Ton système de pensée est logique et ordonné. En un mot, tu devrais être comme chez toi dans la Matrice. Je suppose que tes problèmes sont d’origine psychique, mais je ne suis pas qualifié pour t’aider. Tu as besoin d’assistance. Je connais l’homme qu’il te faut. On doit en passer par là pour continuer.

Dodger le prenait-il pour un cinglé ?

— C’est un docteur, ton type ?

— Entre autres choses…

— Tu crois que c’est de ça que j’ai besoin, un fouille-cervelle ?

— Sam, cet homme peut te faire du bien. Ne refuse pas la main qu’on te tend.

— Tu débites des platitudes, Dodger. Elles cachent quoi ?

L’elfe ne dit rien durant un long moment, le visage soudain fermé.

— Tu devrais voir ce type… C’est tout ce que j’ai à dire…

Dodger évitait une nouvelle fois de répondre. Mais platitudes ou pas, il avait raison : Sam ne pouvait pas refuser la main qu’on lui tendait.

— Si j’accepte, qu’est-ce que ton ami y gagnera ? Et toi, un shadowrunner, pourquoi aides-tu un transfuge de Renraku ? Je suis fauché. Tu n’as rien à y gagner non plus.

— Nous ne sommes pas tous aussi intéressés que la gente dame Tsung, messire Twist.

— Tu appartiens à sa bande, non ? Je pensais que tu lui devais obéissance.

— La gente dame et moi avons parfois uni nos efforts, c’est vrai. Mais je reste indépendant et j’ai mes propres centres d’intérêts.

Sam le croyait sur parole. Tous ceux qui vivaient dans les ombres poursuivaient leurs propres intérêts.

— Lesquels ?

— Tu es têtu, messire Corpo. C’est une qualité… parfois !

— Dodger, j’aimerais que tu ne m’appelles plus « Corpo ». En violant la Matrice, j’ai divorcé à tout jamais de Renraku. Quant à être têtu, je m’en flatte depuis toujours.

— Messire Twist, puisque c’est ainsi que tu veux être nommé, seras-tu satisfait si je te dis que t’aider me permet de solder une vieille dette ? Tout le monde y gagnera. Mon ami trouvera ton cas du plus haut intérêt. Tu quitteras Portland pour approcher de ton but. Et ton serviteur soulagera son âme…

— Idyllique, si je comprends bien. Que se passe-t-il en cas de refus ?

— Il vaut mieux ne pas y penser.

— Alors, où est mon choix ?

— C’est toi qui décides à quelle sauce on te mangera…

Sam ne put s’empêcher de sourire. Les événements le poussaient une fois de plus en avant, mais dans la bonne direction. Quand il travaillait pour Renraku, jamais il n’avait eu autant d’influence sur sa propre vie.

— On y va, Dodger ? dit-il en sautant du lit.