L’enseigne annonçait : Mission de la Huitième Rue.
Les murs étaient couverts de graffitis obscènes.
La plus grande partie de Portland avait été reconstruite, mais ce quartier datait d’avant l’Eveil. Sam préférait la vieille architecture aux constructions baroques des elfes, véritables monuments à la gloire du Sixième Monde.
Ils entrèrent dans la mission, bondée de traîne-misère de tous âges et de tous sexes.
— Père Lawrence ? appela Dodger.
Le religieux se retourna. De taille impressionnante, large d’épaules, il avait un visage plutôt agréable. Quand il sourit, Sam aperçut les grandes canines inférieures qui l’identifiaient comme un ork.
Le gène n’est pas dominant, mais c’est quand même un Métamorphosé.
— Dodger ! s’exclama le prêtre, ravi. J’ignorais que tu étais en ville.
— C’est une bonne nouvelle, père. Si tu l’ignores, personne d’autre ne le sait…
— Tu me surestimes, comme toujours !
— Je sais ce que je dis, père Lawrence. Qu’es-tu devenu, depuis le temps ?
— Je suis toujours au service de Dieu…
— Il te permet d’adresser la parole à des criminels ?
— Les criminels, les citoyens, les nobles et même les paladins sont Ses enfants, affirma le prêtre. C’est au pécheur qu’il faut ouvrir son cœur. Où serait le mérite, sinon ?
— Mon ami à besoin d’aide, père. Il se nomme… (Dodger réfléchit un moment ; son visage s’illumina comme si la grâce l’avait touché.) Twist !
— Bienvenue à la mission…, Twist. Tous les amis de Dodger sont les miens.
— Merci.
— Es-tu chrétien ?
— Oui, mais pas catholique…
— J’aimerais que tu le deviennes. Et pourtant, jamais je ne t’y contraindrai. Tous ceux qui respectent les règles d’amour et de paix de cette maison peuvent y vivre. Le Seigneur aime tous Ses enfants. Il comprend que chacun donne en retour selon ses moyens… Dodger dodelina de la tête.
— Hélas, père, pour le moment, nous sommes plutôt fauchés…
— Je ne doute pas de ta générosité, Dodger. Le Seigneur sait aussi attendre… Tu connais la maison, mon ami. Fais-la visiter à ton compagnon. Des tâches urgentes m’attendent…
L’elfe guida l’humain jusqu’à la minuscule pièce qui allait être leur chambre. Sam se laissa tomber dans un fauteuil.
— Et maintenant ? demanda-t-il.
— Ça dépend de toi, messire Corpo. Je te fournis une planque. A toi de cogiter à un plan.
— J’ai réfléchi… Retourner à l’Arcologie n’est peut-être pas une si bonne idée…
— Tu n’es pas si makkanagee que ça, après tout !
— Makka… quoi ?
— Makkanagee… Volontairement stupide, si tu préfères.
— J’ai été stupide, mais je te garantis que ce n’était pas volontaire… Si je pouvais pénétrer dans la Matrice et pirater les fichiers Renraku, je suis sûr que je trouverais des réponses.
— Et comment vas-tu faire ?
— J’ai toujours les puces Persona que Castillano ne voulait pas. Si j’ai accès à un terminal…
— Ils vont avoir changé les codes d’accès…
— Ce n’est pas un problème. Mon ami Jiro m’a montré une « porte dérobée » installée par un des concepteurs du système. Si j’entre dans la Matrice, j’aurai accès au réseau de Renraku.
— Combien de gens sont au courant ?
— Le concepteur est mort dans un accident d’avion. Jiro a fait une chute mortelle. Il reste le decker qui a renseigné Jiro. Et moi.
— Plus les milliers de types à qui le decker aura parlé depuis ! De toute façon, tes puces Persona sont marquées…
— Castillano a utilisé cette expression. Ça veut dire ?
— Messire Corpo, malgré ton datajack, tu es un ignorant ! Un marquage est un ensemble d’instructions complexes intégrées à la puce. Toute opération effectuée par le Persona laisse une trace identifiable dans le fichier concerné. Si tu utilises tes puces, tu sèmeras tes empreintes partout dans la Matrice.
— Alors, c’est sans espoir…
— Je n’ai pas dit ça. Tu dois avoir conscience des risques avant de pénétrer dans un réseau aussi dangereux que celui de Renraku. Quant aux marquages, je peux les faire sauter si tu me confies tes puces.
— En permanence ? Dodger éclata de rire.
— Qu’ai-je besoin de tes puces, messire ? Les miennes sont dix fois supérieures !
— Alors tu peux m’aider à infiltrer le réseau de Renraku ?
— Oui, si ta « porte dérobée » existe toujours. Essayer maintenant serait de la folie. Tu as besoin d’entraînement, messire Corpo. La glace noire est dangereuse…
— On commence quand ?
— Faiseur de Fantôme avait raison : tu es courageux.
Dodger ouvrit le tiroir d’une petite commode et en sortit un cyberdeck.
— C’est du matériel dépassé. Pour un débutant, ça suffira, surtout avec un maître comme moi. On va commencer par un réseau facile. Attention : il est quand même défendu par glace.
A la mention des CI – Contre-mesures d’Intrusion –, Sam eut un mouvement de recul.
— Rien de dangereux, rassure-toi. Pendant que tu t’amuseras, je travaillerai sur tes puces…
Sam se connecta au cyberdeck et tendit les puces à l’elfe.
Il se déconnecta plusieurs heures plus tard. Sa tête lui faisait un mal de chien ; il avait quand même réussi à pomper des données dans le système-test. Dodger avait raison. En matière de piratage, il était un ignorant. Mais il apprendrait vite.
— Ça a marché, messire Corpo ?
— J’ai cambriolé un fichier.
— Pas mal, pour un premier essai. Quelque chose à signaler ?
— Oui, une atroce migraine.
— Hum… Pas très encourageant.
— Ne t’en fais pas ! C’est toujours comme ça quand je pénètre dans la Matrice.
— Vraiment ? C’est étrange… Très étrange…