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Alice Crenshaw entra dans le bureau de Marushige en roulant des hanches. Le gros général leva sur elle un regard dégoûté.

— Je t’avais bien dit que Verner nous poserait des problèmes, dit-elle, ravie de retourner le couteau dans la plaie.

— Exact. Tu veux une médaille ?

— Si tu m’avais écoutée, tout ça aurait pu être évité.

— C’est ce que tu as dit à Sato ?

— Je n’ai rien dit au kansayaku.

— Touchant… Très touchant. Je ne te savais pas si loyale…

Alice ignora le sarcasme.

— Il veut quand même un rapport. Il déteste ce genre d’histoire…

— S’il veut un rapport, qu’il le demande par la voie hiérarchique. Je parie qu’il passera après le président Huang.

— Le président a oublié ses chers ordinateurs pour s’intéresser à ce cas ? Fascinant…

— Arrête de me casser les pieds, Crenshaw. L’intérêt du président est purement routinier, comme cette extraction. Verner et la femme ne sont pas une grande perte pour Renraku.

— Vraiment ? Alors pourquoi tant d’affolement dans l’immeuble ? Tout le monde s’agite comme si c’était la guerre…

— Sato est ici, et un crétin se fait la malle. Crenshaw, le kansayaku risque de penser que nous sommes des comiques. Voilà pourquoi on s’« agite ».

Marushige avait peur pour sa place. Alice sourit. Elle le tenait.

— Il y avait un dragon dans le coup, lâcha-t-elle. Ça implique une équipe de shadowrunners plutôt musclée…

Marushige poussa un vague grognement et fit mine de s’absorber dans la lecture d’un rapport.

— Verner devait avoir levé un sacré lièvre, insista Alice.

— Tu n’as rien de mieux à faire, Crenshaw ?

— J’essaye de comprendre, mon cher général. Si Sato-sama me posait des questions, je détesterais devoir lui dire que le chef de la sécurité ne sait rien…

— Comme je te connais, sûr que ça te fendrait le cœur !

— Marushige, je t’ai déjà dit que je ne veux pas ta place ! Calme-toi ! Mais j’entends que ce voleur de Verner paye son infamie.

— Rien ne prouve qu’il ait volé quelque chose, Crenshaw. Et il n’avait accès à rien d’important…

— Ses « bienfaiteurs » pensent peut-être que ses liens avec Aneki ont de la valeur. Ils vont être déçus !

— C’est la règle du jeu… Quand on spécule, on ne peut pas toujours gagner.

Très finement pensé, mon vieux…

Mais l’explication ne la satisfaisait pas. Il devait y avoir autre chose. Verner était un trop petit poisson pour justifier une opération de cette envergure.

— Et le type sur la civière ?

— Il ne manque personne d’autre chez nous. Ce devait être un complice, ou un clodo ramassé dans Seattle.

— En bref, tu n’en sais rien !

— Et je m’en fous !

— Dommage que l’« infirmière » orke soit morte, elle aurait pu nous en apprendre beaucoup.

Un sourire mauvais tordit le visage du général.

— Elle nous en a appris beaucoup, très chère. Même morte. Nous savons qu’elle s’appelle Greta Wilmark. C’est une runner indépendante. Elle travaille souvent avec Harry Sloan, « Chien Noir » Sullivan, Kurt Leighton, et un autre ork nommé Chin Lee. Sloan et Sullivan correspondent à la description des deux brancardiers. Leighton est célèbre pour ses talents de pilote…

« Ça fait le compte, à l’exception de Chin Lee, sans doute remplacé par la « doctoresse ». C’était une petite équipe, pour une petite opération…»

— Tu oublies le dragon !

— Une coïncidence, d’après moi. Tu vois des minables pareils travailler avec un dragon ? Crenshaw, reviens sur terre !

Le général refusait de voir plus loin que le bout de son nez. Alice ne baisserait pas les bras. Et puis, même s’il avait raison, elle voulait voir Verner dans une cellule !

— Quel est ton plan d’action, Marushige ?

— Mon plan ? Voir venir. Poursuivre Verner coûterait une fortune. Ça ne vaut pas le coup.

— Sato ne va pas aimer que tu voies venir…

— C’est TOI que ça dérange. Sato est un homme d’affaires. Quand il verra les rapports, il sera d’accord avec moi.

Crenshaw serra les dents. Verner lui échappait encore.

Mais elle trouverait un moyen de le coincer. Oui, elle trouverait…