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La mort est la seule punition pour le meurtre, avait dit Lofwyr.

Il ne s’était pas trompé. La mort de Haesslich vengeait celle de Hanae. Depuis le début, Fantôme et son groupe avaient pour ordre d’abattre le dragon s’il menaçait Sam.

Crétin de lézard, tu as signé ton arrêt de mort en croyant parapher le mien !

Il y avait donc une justice immanente ?

Mon œil, celui qui tire les balles explosives gagne la partie. Le reste est littérature !

Vivre dans un monde pareil valait-il la peine ?

Sam était fatigué, mais il n’avait pas le temps de méditer, et moins encore de se reposer. Jacqueline avait abandonné Sally sur l’aire 23 de l’Arcologie. Si la magicienne n’avait pas été tuée dans le feu de l’action, Fantôme et lui devraient trouver un moyen de la sortir de là.

Il se demanda si l’Indien avait vu la projection. Dans ce cas, il faudrait lui expliquer que Jacqueline avait pris son apparence.

Verner jeta un coup d’œil sur le toit d’où Fantôme et ses braves avaient tiré. Plus personne en vue. L’Indien devait être en route vers le point de rendez-vous.

Sam aurait été fou de traîner. Il monta dans l’hélico et s’assit, les jambes et la tête lourdes.

— Indramin, on rentre…

Il n’y eut pas de réponse ; le rotor resta immobile. Dans le périmètre d’United Oil une sirène déchira le silence.

* * *

Des projecteurs s’étaient allumés un peu partout. Sur le toit d’où elle observait la scène, Hart vit une patrouille de la sécurité débouler au pas de course sur les docks. A sa tête, elle reconnut le major Fuhito. Il portait son armure de combat.

Les docks n’étaient pas sous sa responsabilité. S’il y venait une fois l’an, c’était un miracle.

Pas si stupide que ça, hein, major ? Tu te doutais que Haesslich trempait dans des magouilles. Alors tu le surveillais, prêt à accourir au bon moment…

La carrière du major allait connaître une embellie…

Hart tourna la tête vers l’hélico. Verner venait d’en descendre ; il regardait autour de lui, incertain de la direction à prendre.

Ton ange gardien peau-rouge est parti, Sam. Tu es seul. C’est une bonne heure pour mourir.

Katherine aurait pu le guider hors du territoire d’United Oil. Mais pourquoi tant de générosité ? Elle ne devait rien au renégat.

Pourtant…

Tessien est mort. Haesslich aussi. Une vie pour une vie. Ça devrait suffire…

Si Fuhito cueillait Verner, il se ferait un plaisir de le découper en rondelles. Haïssait-elle assez l’ancien corporatiste pour laisser faire ?

Ce type est un runner comme moi, maintenant. Il s’est bien sorti de ce coup… Ou il a eu de la chance… Qu’importe…

Katherine Hart avait vu trop de morts aujourd’hui. Pour la première fois de sa vie elle eut envie d’aider quelqu’un.

Elle approcha du bord du toit et attendit que Verner arrive à portée de voix.

— Psst… Par ici !

L’ancien corporatiste porta la main à la crosse de son Narcoject.

— Du calme, Sam ! Je n’ai rien contre toi. C’était le boulot, c’est tout. Comme je viens de perdre mon employeur…

Il ne répondit pas, mais sembla se détendre un peu.

— Sam, je descends, attends-moi. Tu as besoin que quelqu’un te montre la sortie de secours…

Verner ne se demanda pas si c’était un piège. A ce point de l’aventure, il eût fait confiance au Diable en personne…

* * *

Sam regardait Katherine Hart s’éloigner sur sa Rapier Yamaha. Depuis qu’il avait appris son vrai nom, il la tenait pour une mercenaire impitoyable. Plusieurs fois, elle avait tenté de le tuer.

Aujourd’hui, elle lui avait sauvé la mise.

Assis au bord d’un trottoir, comme un an plus tôt après l’enlèvement, il se demanda pourquoi elle avait fait ça.

Le saurait-il un jour ? Etait-ce si important ? Il vivait, et…

— Des aboiements retentirent. Il tourna la tête.

Un chien avançait vers lui, la queue battant l’air. L’animal était sale comme un peigne et amaigri par la vie dans les rues. Mais Sam l’aurait reconnut parmi un millier.

Inu ! Sacré vieux bâtard !

Il devait s’être échappé de l’Arcologie. Désorienté par les événements de la nuit, Sam ne se demanda pas comment il était arrivé ici…

Inu était seul. Sam espéra que Kiniru était restée à l’Arcologie, avec le brave M. Haramoto. La chienne n’avait jamais su se débrouiller seule ; elle dépendait des hommes, comme Sam jadis de la Corporation. Inu était fait pour la rue. L’odeur des poubelles lui ouvrait les poumons.

Sam et le chien savourèrent leurs retrouvailles durant de longues minutes.

Puis ils partirent porter secours à la gente dame Tsung…

* * *

Les hommes de Jacqueline s’activaient autour du Commuter. Bientôt, le sigle de Renraku serait remplacé par celui de Mitsuhama Technologie. Sans consulter le numéro d’identification, personne ne s’apercevrait de la supercherie. Un excellent moyen d’échapper aux recherches.

La sasquatch était très satisfaite de ses mercenaires. Ils avaient même eu droit à un pourboire.

— Jacqueline ?

La magicienne sursauta et se retourna. Enterich contemplait le corps du doppelganger, placé dans un caisson de stase.

— Mort ?

— Etendu pour le compte par Sally Tsung.

— Quel dommage. J’aurais payé cher pour avoir ce qui intéressait tant M. Haesslich.

— On a trouvé une puce dans le datajack du double, et deux autres dans un mini-lecteur implanté sous sa peau. D’après moi, c’est le programme qui lui permettait d’avoir les compétences professionnelles du vrai Konrad Hutten.

Enterich ne montra aucun intérêt pour la question.

— Si vous n’en voulez pas, je pourrai peut-être les vendre ailleurs, histoire de couvrir mes frais…

— Jacqueline, le double était le centre de cette opération. Vous deviez me le livrer vivant.

— Désolée, je n’ai rien pu faire… Vous tirerez peut-être quelque chose de l’autopsie. Les labos de Genomics sont costauds…

— Espérons…

Enterich se pencha de nouveau sur le cadavre. Jacqueline s’ approcha…

… Et fit la moue. Quelque chose clochait. Dans le caisson, la créature aurait dû se conserver indéfiniment.

Elle se décomposait à toute allure.

La sasquatch vérifia le tableau de commande du caisson. Tout fonctionnait normalement.

Le poing d’Enterich s’abattit sur le couvercle en Transparex de l’unité de stase.

Jacqueline recula. Son maître était très mécontent.