— Jenny ?
— J’écoute, chef, répondit la decker de Hart.
— Du neuf, du côté de Candy ?
— Rien. Elle est toujours sous sédatif. On n’a pas repéré de gus qui correspondent à ses agresseurs. Un coup de chance qu’elle ait eu une bonne assurance…
— Après ce que cette… chose… a fait à la première fille, je ne lui aurais pas envoyé un autre courrier sans protection. Candy sera rétablie dans un mois ou deux.
— Chef, tu penses qu’ils l’ont maltraitée parce que c’est un courrier ?
— C’est ce que je crains. Elle la seule à s’être rendue deux fois à l’Arcologie.
— Elle travaillait beaucoup avant qu’on l’engage. C’était peut-être une affaire personnelle…
— Espérons. Mais restons vigilants.
— Compris.
Hart coupa la communication. Elle se concentra sur les dossiers que le major Fuhito lui avait remis. Des curriculums de shadowrunners. Verner avait des associés : personne ne pouvait survivre seul dans les ombres.
Elle ne trouva rien sur Dodger, le seul dont elle sût le nom.
Logique, un decker de cette classe se doit d’être insaisissable.
Jenny interrompit sa réflexion :
— Chef, l’agression contre Candy n’était pas une affaire personnelle. Alfie a de la visite…
— Quelle sorte ?
— Une certaine Alice Crenshaw. Elle insiste pour vous voir.
— Crenshaw ? De la sécurité de Renraku ?
— Il n’y en a pas trente-six…
— Elle veut rencontrer le propriétaire du club, c’est ça ?
— Non, chef. Elle a prononcé ton nom. C’était inquiétant.
Alice Crenshaw, jouer à ce genre de jeu ?
— Tu peux contacter le courrier de ce soir ?
— Bien sûr.
— Fais dire à la chose qu’on en termine demain soir. Ça devient trop dangereux.
* * *
Crenshaw suivait son guide sans appréhension. Si Hart faisait des histoires, des renforts attendaient à l’extérieur, prêts à raser le bâtiment au besoin. Mais le risque était minime. La shadowrunner était une vraie professionnelle, vénale jusqu’au bout des ongles. Sûrement, elles pourraient s’entendre…
Son guide ouvrit une porte et s’écarta.
— Par là…
— Merci beaucoup, Ralphie.
— Alphie, bon sang !
Elle ignora la réplique et entra. Hart ne fit pas l’effort de se lever pour l’accueillir. Alice remarqua qu’elle gardait les mains sous son bureau.
Sans attendre d’invitation, elle tira une chaise et s’assit.
— Avant que tu fasses une bêtise, Hart, sache que je viens pour parler. Je te croyais capable de converser avec une sorte de… collègue. Pour ta gouverne, j’ai des hommes, dehors, qui…
— Ils ont déjà combattu un dragon ?
— Pardon ?
— Un serpent à plumes de mes amis n’est pas loin non plus…
— Celui qui t’a aidée à sortir Verner de l’Arcologie ? Puisque nos forces de frappe s’équilibrent, on pourrait peut-être parler affaires. (Hart hocha la tête ; Alice s’engouffra dans l’ouverture :) Comment se porte Verner ?
— Je n’en sais rien…
Elle ferait une grande joueuse de poker…
— Allons, Hart. Je sais que vous travaillez ensemble.
— Tu en sais plus que moi, Alice.
— Tu veux me faire croire que Verner n’est pas à l’origine du plan de corruption d’un membre du Directoire Spécial ?
— Je déteste te faciliter le travail, Crenshaw, mais Verner est tout pour moi, sauf un allié. Je payerais pour en être débarrassée.
— Admettons. Je sais que tu as retourné Konrad Hutten. Jusqu’à quel point vous le tenez, Hart ?
— Si tu as trouvé le maillon faible de la Corpo, pourquoi ne pas l’éliminer ?
— J’aime sérier les choses, Hart. Pour l’instant, Konrad Hutten n’est pas mon problème. Je veux Verner. Si on s’associait, pour une fois ?
— Selon quels termes ?
— Verner nous agace toutes les deux. Donnons-lui la chasse. Je propose de lui tendre un piège : le projet IA de Renraku.
— Hum… Si ça marche, je gagne quoi ?
— C’est évident : Verner ne t’agacera plus.
— Mais tu mettras fin à mon opération … infiltration…
— Non, en tout cas pas tout de suite. Hutten est encore un membre clef du projet IA. Tu auras des possibilités…
— Quand la sécurité ne le quittera plus d’un pouce ?
— Ai-je dit que ce serait facile ?
Toute l’histoire puait le piège. Mais Hart ne pouvait refuser si elle voulait avoir une chance de récupérer Hutten.
— Crenshaw, ta proposition me déplaît. Mais je n’ai pas le choix. Verner doit mourir, c’est évident. Et ça doit se passer le plus vite possible… Mon espion devait… me rencontrer demain… Une sorte de rapport officiel. J’imagine que tu vas me demander d’annuler ?
— Au contraire ! C’est ce qu’il nous faut pour faire sortir Verner de son trou !
— Tu n’as pas peur que mon agent en profite pour s’enfuir ?
Crenshaw sourit.
— Le projet IA n’avance pas. Si tu sors ton type, il ne t’apprendra rien.
C’était un mensonge éhonté… Le plan d’Alice était limpide : tuer Verner, démasquer Hutten, et coincer Hart.
Après ça, à moi une promotion à Tokyo, le seul endroit respirable de la planète.
— Crenshaw, ton plan a une faille. Pour que Verner tombe dans le panneau, il faut qu’il sache que je rencontre Hutten.
Cause toujours, ma vieille. Tu vas t’empresser de le lui dire !
— Aucun problème, on lui fera savoir… Alors, Hart, marché conclu ?
Katherine acquiesça.
* * *
Hart poussa un soupir de soulagement quand la porte se fut refermée sur Crenshaw. Cette femme était une manipulatrice de première, plus dangereuse qu’une mante religieuse…
Elle refuse de croire que je ne n’ai rien à voir avec Verner. Bon sang, ce type l’obsède !
C’est ma chance… La haine obscurcit le jugement de Crenshaw. Il faut que j’en tire parti…
La sécurité de Renraku ignorait qui était vraiment le docteur Konrad Hutten nouvelle manière. Pour Hart, récupérer ou non le doppelganger n’avait plus aucune importance. Ce qui comptait, c’était glaner des données sur le projet IA.
Haesslich n’est pas tendre avec ceux qui échouent. Il faut que Verner et le double de Hutten meurent. Si je reviens avec quelques puces bourrées d’informations, j’ai une chance de trouver grâce aux yeux du dragon.
L’Opération Renégat touchait à sa fin. Froidement, Hart essaya d’estimer ses chances d’en sortir vivante.