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Le docteur Andrew A. Wilson était assis à son bureau. Il étudiait la lettre de présentation.

Selon Jacqueline, la carte d’identification qui l’accompagnait ne serait valable qu’un jour. Elle faisait de Sam un certain Samiel Voss, expert-comptable de Genomics chargé de contrôler le fichier « personnel » du service de Wilson.

— C’est une vérification de routine, docteur… Wilson hocha la tête, bonhomme. Ses yeux démentaient cette attitude.

— Tout semble en règle, monsieur Voss. J’espère que cette attente ne vous aura pas ennuyé.

— Pas du tout.

— Parfait. Je vais vous faire affecter un terminal.

— Mes ordres stipulent que je dois travailler dans votre bureau, docteur Wilson.

— Hors de question.

— Votre terminal me permettra d’accéder aux données sensibles, docteur. C’est le but de ma visite… Si vous y voyez un inconvénient, je suis sûr que le vice-président Fleureaux…

— D’accord. D’accord ! Inutile de déranger le vice-président. Prenez ce poste de travail, dans le coin.

— Merci beaucoup, docteur. (Sam alla s’asseoir devant l’écran.) Docteur, le mot de passe…

Wilson s’exécuta de mauvaise grâce. Il tapa le mot de passe en s’arrangeant pour que Sam ne puisse pas voir. Puis il s’écarta et resta planté là, comme s’il voulait regarder par-dessus l’épaule de son « invité ».

— Docteur, la Charte de 2035 spécifie qu’un employeur ne peut pas consulter la position financière d’un employé, sauf s’il le soupçonne de malversation, d’association de criminels ou de concurrence déloyale. Même dans ce cas, il faut remplir au préalable un formulaire 3329-11…

— Mais vous allez consulter ces fichiers.

— Je suis comptable, docteur. L’article 35.22 du même texte précise que le service financier peut, une fois l’an, consulter ces documents. Au cas où vous en douteriez, l’article 35.23 précise que…

— Assez d’articles ! s’exaspéra Wilson. Ce sera long ?

— Deux ou trois heures, au plus…

— Je me rends au labo 3. Ma secrétaire m’appellera quand vous aurez fini.

— Très bien, docteur. Excellente journée…

Sam se demanda comment il avait pu ne pas éclater de rire. Il ignorait si la Charte comptait un article 35.22 modifié 35.23. Apparemment, le bon docteur n’en savait pas plus long. A son air ennuyé, on pouvait parier qu’il n’irait pas vérifier.

Verner se mit immédiatement au travail. Le terminal de Wilson ne comportait pas de cordon entrée/sortie pour datajack. C’était tout aussi bien. Une connexion directe aurait été dangereuse. Mieux valait ne pas être tenté.

Il ouvrit son attaché-case et sortit le module que Jacqueline lui avait remis. Comme la carte d’identification, il avait une limite de validité. Lofwyr n’avait pas envie qu’un intrus se promène librement dans la Matrice de Genomics.

Grâce au module, tous les comptes de Wilson défilèrent sur l’écran. Les virements complexes de Drake apparaissaient en toute innocence.

Si on ne connaît pas l’astuce, on n’y voit que du feu…

Verner consulta le dossier personnel de Wilson. Tout était en ordre, à l’exception de réprimandes sur des dépassements de budget. La hiérarchie de Genomics ne soupçonnait pas la félonie du docteur.

Plus que jamais, Sam voulait découvrir la nature des recherches de Wilson. Il tenta le coup, mais le module ne lui donnait pas accès à ces fichiers, défendus par plusieurs CI. Utilisant un truc que lui avait appris Dodger, Sam improvisa un programme de déverrouillage qu’il infusa dans le module. L’idée était de copier autant de fichiers que possible, quitte à les « cambrioler » plus tard.

copie impossible – données protégées en ecriture -attention : copie impossible.

Sam soupira. Ça avait valu le coup d’essayer. Tant pis, il faudrait tout faire aujourd’hui.

Il lança le module à l’assaut du réseau de Wilson. Après une heure de recherche, il tomba sur un fichier intitulé : organisme 5 – protocole de duplication.

Le module mit une heure de plus à trouver le mot de passe : albinisme.

Ce que découvrit Sam lui donna envie de vomir. L’Organisme 5 de Wilson était une créature  vaguement humanoïde à la peau lisse et blafarde.

Comme l’équipier manquant de la bande de Hart, le soir de l’extraction…

Il y avait un « film de démonstration » dans le fichier. Organisme 5 était une sorte de vampire. Il pouvait prendre l’apparence d’un individu et lui voler son identité.

Mêlant science et magie, Wilson avait créé une entité démoniaque capable de se substituer à n’importe qui. Voilà pourquoi l’albinos avait disparu. Il était resté dans l’Arcologie, où il jouait le rôle d’un employé modèle de Renraku. Un employé top-niveau, bien sûr.

Le type de la civière était la victime de la substitution. Hanae et moi avons servi de paravent. Pour sortir le corps du corporatiste, il fallait monter une opération d’envergure. Sans nous, la sécurité se serait demandé qui pouvait bien manquer…

Tout devenait clair. L’attaque, à la frontière de Tir, visait à éliminer les témoins, shadowrunners compris.

Drake savait-il que Sam était vivant ? Si oui, il ne le lâcherait jamais.

Il doit me croire mort, après l’assaut en règle de Tessien. Le dragon a sûrement pensé que l’avion était cyberguidé. J’ai une chance…

Verner déconnecta le module du terminal. Près du clavier, il remarqua une boîte de puces Genomics. A tout hasard, il les mit dans son attaché-case.

Il se leva, prenant garde à ne pas se précipiter. Eveiller les soupçons eût été désastreux.

Il s’approcha de la secrétaire de Wilson :

— Heu… J’ai fini… Je suppose que vous allez appeler le docteur ?

— Evidemment.

— Je vais me restaurer. Dites-lui que je repasse dans une heure pour faire le point avec lui.

— Compris… Dans une heure…

— C’est ça…

Sam s’engagea dans les couloirs. Arrivé devant les portes principales, il dut se retenir de courir.

On le laissa sortir. Dehors, sur l’aire d’atterrissage, l’attendait un hélico de Lofwyr.