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Des visages grimaçant l’entouraient. Des voix vulgaires l’agressaient, lui crachant son prénom au visage comme une insulte. Elle avait passé sa vie à tenter d’échapper à leur monde. Leur faiblesse la dégoûtait.

Elle voulait vivre du côté des forts…

Ils étaient des épaves, des clochards, des rats… Partout dans le monde, à l’ombre des mégalopoles grouillaient des parasites semblables.

Des gens des rues… Des vagabonds, des mendiants, des traîne-savates.

Des minables du crime, pour la plupart : dealers, voleurs, petits casseurs. Mais certains se prenaient pour des vedettes ; ils s’auto-proclamaient héros des temps modernes.

Les shadowrunners, un ramassis de bandits et de terroristes.

La femme sortit son arme et se mit en position de tir.

Le Ruger Super-Warhawk était le roi des pistolets, l’arme favorite des vrais professionnels de la sécurité.

La femme haïssait les traîtres, ceux qui vendaient leur entreprise et leurs collègues pour s’enrichir. Elle détestait la vermine des bureaux, pressée de refiler le sale travail aux gens comme elle.

Plus que tout, elle abominait les lâches qui vivaient dans le cocon de la Corporation, bouffis de bonne conscience.

Autour d’elle, de nouveaux visages apparurent. C’est alors qu’elle le vit.

Blond, une coupe impeccable, des yeux noisette, un datajack à la tempe droite : le corporatiste dans toute sa splendeur !

Elle connaissait ce visage aussi bien que le sien.

Cet air de chien battu, cette innocence, cette horrible confiance… La tête d’un traître.

Bam ! Bam ! Bam !

Le Ruger dansait dans sa main droite, truffant de balles de 11,43 mm le visage honni.

Plus de datajack !

Bam ! Bam ! Bam !

Plus d’yeux noisette. Plus de sourire dentifrice.

Bam ! Bam ! Bam !

Adieu le traître. Adieu la honte !

Si seulement il était aussi facile de la chasser de sa mémoire… Mais imaginer Verner dans le rôle de cible ne suffisait pas…

— Joli tir, A.C.

Crenshaw virevolta et pointa son arme sur l’homme qui venait de parler. Il blêmit en voyant ses phalanges blanchir sur la détente.

Le percuteur s’abattit avec un « clic » métallique.

Alice sourit de la terreur de sa victime. Grâce à son module d’interface, elle savait que le chargeur était vide. Mais le type l’ignorait ; autant le laisser croire qu’elle était un peu dingue. Ça ne pouvait pas faire de mal à sa réputation.

Elle avait moins de réflexes que les autres « spéciaux » de Renraku, et ses implants cybernétiques dataient terriblement. Inspirer la peur était un moyen comme un autre de se faire respecter.

Les lampistes pouvaient la prendre pour une cinglée. Ça ne comptait pas. Seuls importaient les chefs, au dernier étage, dans les hautes sphères de la Corporation.

— Crenshaw ! beugla l’homme quand il eut retrouvé sa voix. Tu es complètement givrée !

— Tous ceux qui me trahissent le regrettent un jour, Saunders. Ne l’oublie pas. La prochaine fois, le Ruger ne sera pas vide.

Royale, elle quitta le stand de tir.