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Où l’on voit Werner résister comme il peut

— Alors, tu ne boycottes pas les Jeux ?

Werner Seelenbinder sourit. Que répondre à la question ironique de son père ?

— Non, les nazis ont levé la suspension qui me frappait, je ne vais pas rater cette occasion !

— J’espère que tu ne nous referas pas le coup de la dernière fois !

— Quel coup ? demanda le lutteur en fronçant les sourcils.

— Tu feras le salut nazi, n’est-ce pas ? Même Helene Mayer, l’escrimeuse juive dont les autorités allemandes ne voulaient pas et qui a été intégrée in extremis dans l’équipe nationale pour ne pas déplaire au CIO, a finalement exécuté le salut quand elle est montée sur le podium !

— On verra, papa, on verra ! fit-il, évasif.

Ce que Werner ne pouvait avouer à son père, c’est que ses amis de l’Uhrig Group ourdissaient un complot d’une plus grande portée qu’un simple refus de faire le salut nazi. Il s’agissait pour lui de remporter la médaille d’or afin d’avoir accès aux médias du monde entier. Fort de sa victoire, il pourrait dénoncer les dérives du nazisme en direct sur les ondes de toutes les radios internationales qui l’interrogeraient sur sa performance sportive. Le coup était risqué, certes, mais des amis suédois communistes lui avaient promis de l’aider à quitter le pays en secret, sitôt son exploit accompli.

— Je t’en prie, Werner, insista son père. Pas d’actes héroïques inutiles !

 

Quelques jours plus tard, Werner Seelenbinder apprenait que plusieurs membres de l’Uhrig Group, dont les techniciens qui étaient censés faciliter son passage à la radio, avaient été arrêtés par la Gestapo. Il comprit que son tour ne tarderait pas à venir, mais continua à s’entraîner. Il lui fallait absolument gagner cette médaille d’or. A défaut de dénoncer Hitler à la radio, il pouvait toujours exprimer son rejet des nazis en refusant de tendre le bras sur le podium !

*

Le 9 août à 11 heures, Werner Seelenbinder arriva au Deutschlandshalle. Il enfila son maillot décolleté – composé d’une pièce unique allant du torse aux cuisses – et descendit dans l’arène. Il avait encore face à lui trois concurrents. « Une place sur le podium, songea-t-il en serrant les poings, c’est tout ce que je désire. » Confronté au Suédois Axel Cadier, l’Allemand n’arriva pas à prendre le dessus sur son adversaire. Il eut beau multiplier les prises, rien n’y fit. Au bout de vingt minutes, constatant qu’aucun des deux lutteurs n’avait réussi à vaincre l’autre, les juges délibérèrent et donnèrent l’avantage au Suédois, privant ainsi Werner de la médaille tant convoitée. L’Allemand se laissa choir sur le tapis et demeura un moment à genoux, interdit. Ce qui le rendait amer, c’était moins la défaite que l’occasion manquée de manifester son opposition au régime.

— C’est la première fois que je suis heureux de te voir perdre, murmura son père en l’accompagnant jusqu’aux vestiaires.

— Pourquoi dis-tu cela ? maugréa le lutteur avec dépit.

— En perdant ta médaille, tu as sauvé ta peau.