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Nous nous trouvons en enfer, pensa Ned tandis qu’il regardait Anna supplier la créature. Le bâtiment en flammes formait un arrière-plan approprié.

Il avait finalement jeté ses armes par terre, non pas qu’il pensât que Anna parviendrait à convaincre la créature de les épargner, mais parce qu’il savait qu’elles seraient inutiles, de toute façon. Des armes ne pouvaient rien contre quelque chose qui était capable de provoquer un tel incendie. Contre quelque chose qui détruisait les gens en faisant frire leur corps. Contre une monstruosité comme celle-là.

Il n’avait pas l’intention de décrocher sans se battre, mais il estimait que c’était à Anna de jouer, elle avait la balle, et il la laisserait jouer cette partie à sa manière. Si cela voulait dire jeter les armes, parfait. Ils l’avaient fait. Mais il lui restait ses mains, et lorsque cette créature viendrait pour le faire frire, il balancerait son poing et l’enfoncerait jusqu’au fond de cette putain de bouche de boa constrictor. Et comment !

Ils avaient été complètement dingues de venir ici, tout compte fait. Et merde, qu’avait-il pensé qu’ils accompliraient ? Et Anna… Bon Dieu, si Anna mourait ici… Le seul fait de penser à cette créature la faisant frire l’amena à bander ses muscles, prêt à bondir pour récupérer son flingue et vider son chargeur dans la tête de cette saloperie.

Puis il remarqua le silence.

Le bâtiment continuait de brûler, le grondement des flammes, tandis qu’elles dévoraient l’air, n’avait absolument pas diminué. Mais la musique avait disparu. Et la créature…

La furie avait disparu.

Elle était redevenue une femme. Une femme rayonnante. Un putain d’ange.

Sa poitrine se gonfla… Non, elle s’écartait et quelque chose tombait d’elle…

Bouche bée, il regarda l’amie d’Anna basculer de l’ange qui flottait dans l’air. Elle descendit doucement vers le sol et se posa sur les genoux, son regard rivé sur le visage d’Anna.

Derrière elle, l’ange s’élevait dans l’air épaissi par la fumée. De plus en plus haut. Ned tendit le cou pour la regarder partir, une image brillante qui se détachait sur la fumée noire.

Puis elle disparut.

Il regarda son coéquipier. Grier avait une expression de stupeur sur le visage et Ned savait que la même expression était inscrite sur son propre visage.

— Est-ce que… (Grier hésita et se racla la gorge.) Est-ce que cela veut dire que nous avons gagné ?

Anna s’agenouilla sur le sol et prit Beth dans ses bras, la serrant contre elle. Les yeux d’Anna étaient noyés de larmes. Puis elle enfouit son visage contre l’épaule de Beth et se mit à pleurer. Beth passa les bras autour de son amie et la tint en une étreinte protectrice. La sensation d’être indispensable à quelqu’un lui était inconnue, mais c’était la meilleure preuve que Beth aurait pu avoir… la preuve qu’elle avait fait le bon choix.

— Est-ce que c’est terminé ? lui demanda Ned.

Quand Beth tourna son visage tuméfié vers lui, il vit dans ses traits les visages d’une centaine de femmes… toutes ces querelles de ménage qu’il avait été chargé de régler, toutes ces femmes meurtries présentant les blessures pitoyables de leur vie de couple ratée. Mais il y avait une force dans le visage de cette jeune femme qui démentait les souffrances qu’elle éprouvait certainement. En principe, contusionnée comme elle l’était, elle n’aurait pas dû être capable de bouger, encore moins d’étreindre et de réconforter Anna, pourtant elle faisait les deux.

Ned admira son courage.

Lorsqu’elle hocha la tête en réponse à sa question, il poussa un soupir de soulagement. Son coéquipier alla récupérer leurs armes tandis que Ned restait auprès de Beth et d’Anna.

C’était terminé. C’était tout ce qu’il avait besoin de savoir pour le moment. Il ne savait pas ce qui s’était passé, ni comment ils avaient gagné, mais au moins c’était terminé. Il trouverait les comment et les pourquoi plus tard.

Il commençait à se demander comment ils allaient retourner dans leur monde lorsqu’il éprouva une sensation familière.

Scintillement.

Durant un long moment, ce lut comme s’ils n’étaient jamais partis nulle part. L’incendie faisait toujours rage. L’air était épaissi par sa fumée. Puis Ned se rendit compte qu’il se trouvait juste à côté d’une énorme voiture de pompiers et qu’un homme portant un ciré et un casque le regardait d’un air hébété. Des lueurs rouges balayaient les immeubles en de vastes mouvements circulaires. Des curieux se pressaient contre des barrières de police, essayaient de s’approcher du lieu du sinistre.

— Qu’est-ce que… ? commença le pompier.

Ned se contenta de lui faire un grand sourire. Ils étaient revenus. Tous les quatre. Il aida Anna et Beth à se relever.

— Comment diable allons-nous expliquer tout ça ? demanda Grier.

Avant que Ned puisse répondre, deux flics en uniforme arrivèrent vers eux en courant et sortirent leur arme de leur étui.

— Police, leur dit Grier.

Il posa soigneusement leurs armes sur la chaussée et prit sa plaque dans sa poche. À côté de lui, Ned passa un bras autour des épaules d’Anna, l’autre autour de celles de Beth.

— Nous réussirons, leur dit-il. Nous allons nous entraider.

— Et on commence tout de suite ! ajouta Grier, se tournant vers eux tandis que l’un des policiers examinait sa plaque. Je règle le problème avec ces messieurs, Ned. Et si tu allais appeler une ambulance ?

Ned le remercia d’un petit signe de la tête, puis il emmena Beth et Anna vers la voiture de patrouille la plus proche pour passer son appel.