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Sheila Coffey jeta un coup d’œil à son mari, au milieu de la matinée, et vit que Ron se tournait et se retournait dans leur lit. Elle hésita, elle avait envie d’entrer et de le réconforter, puis elle referma sans bruit la porte de la chambre à coucher.

Laissons-le dormir, pensa-t-elle en s’éloignant vers le fond du couloir où le linge attendait d’être plié et rangé dans l’armoire. Il n’avait pas dit grand-chose lorsqu’il était rentré ce matin – bien après la durée normale de son service, les traits tirés – et cela en soit était inhabituel. Plus tard, grâce aux flashes d’information diffusés sur W 1310, intercalés entre les chansons du bon vieux temps que Gary Michaels sélectionnait, elle avait eu plus de précisions sur le dernier appel que Ron avait pris avant de terminer son service. Elle n’avait jamais entendu parler de ce Chad Baker auparavant, mais, d’après ce que le journaliste avait dit au cours de ses communiqués, Baker avait été complètement défoncé. Et à en juger par l’expression de Ron lorsqu’il était arrivé à la maison, ce qu’il avait vu avait été très éprouvant.

« Tu dois t’y faire », l’avait prévenue sa mère lorsque Ron et elle s’étaient fiancés. « La vie d’une femme de policier n’est pas de tout repos… » avait commencé sa mère, puis elle avait entrepris de débiter une liste de divorces, de mariages battant de l’aile et des statistiques de suicide, et finalement Sheila n’avait plus écouté le flot de paroles de sa mère. Il y avait des problèmes, bien sûr. C’était difficile de s’habituer aux trois-huit. Elle était inquiète à l’idée de ce qui pouvait arriver à Ron durant son travail – apparemment, de plus en plus de policiers étaient blessés, ces derniers temps. Elle s’était éloignée peu à peu de ses anciennes amies et, maintenant, les seules personnes qu’elle voyait régulièrement étaient les épouses d’autres policiers. Mais quel couple n’avait pas son lot de problèmes ? Elle aimait Ron et, finalement, c’était tout ce qui comptait. Elle l’aimait et il l’aimait.

Alors qu’est-ce que je fais à ranger le linge quand je pourrais lui apporter le réconfort dont il a besoin en ce moment ? se demanda-t-elle.

Elle laissa retomber une pile de serviettes de toilette dans la corbeille à linge et se redressa pour faire disparaître un début de torticolis. Puis elle remonta le couloir vers leur chambre, tout en déboutonnant son corsage. Une sensation de chaleur apparut dans son estomac, mais son sourire s’effaça lorsqu’elle ouvrit la porte de la chambre à coucher.

Le lit était vide.

— Ron ? appela-t-elle.

Sa première pensée fut qu’il était allé dans la salle de bains, mais elle était restée dans le couloir, et s’il était sorti de la chambre elle l’aurait vu. Il n’y avait pas d’autre porte et Ron n’avait pas pu sortir par la fenêtre, puisque leur appartement était situé au douzième étage…

— Ron ?

Se sentant un peu ridicule, elle traversa la pièce jusqu’à la penderie et regarda à l’intérieur. Elle ne vit que leurs vêtements suspendus sur des cintres. Pas de mari jouant à cache-cache.

— Bon, ça suffit, Ron, dit-elle. La plaisanterie a assez duré.

Mais il n’était pas sous le lit, non plus. Ni nulle part dans l’appartement. Entre le moment où elle était venue le regarder, il y avait dix minutes, lorsqu’il était couché, nu, dans leur lit et avait un sommeil agité, et maintenant, il avait disparu. Seulement il n’avait pas pu sortir de la chambre, parce qu’elle était restée dans le couloir tout le temps.

Au cours de conversations avec leurs amis dans la police, elle avait entendu dire qu’une femme de flic acquiert souvent une certaine intuition. En ce moment quelque chose bourdonnait en elle comme un fil de fer tendu à se rompre, que l’on pince et qui vibre. Elle hésita quelques instants encore, puis s’assit sur le lit, approcha le téléphone et composa le numéro de Pat Nichols.

Pat était l’ami le plus proche que Ron avait dans la brigade. Habituellement, les officiers de police travaillaient en solo, mais lorsque Ron faisait équipe avec quelqu’un, c’était toujours avec Pat qu’il effectuait les patrouilles de surveillance à bord de la voiture pie. Elle espérait de toutes ses forces que Pat saurait quoi faire. D’une manière ou d’une autre, Ron s’était habillé et avait quitté l’appartement sans faire de bruit. Il s’était glissé dans le couloir, était passé à quelques centimètres d’elle, et elle n’avait rien remarqué. Pourquoi avait-il fait cela ? Où était-il allé ?

Elle écouta le téléphone sonner à l’autre bout de la ligne et s’efforça d’empêcher sa voix de trembler lorsqu’elle eut finalement la communication.