8

 

— Ça fout les jetons, dit Cathy. Exactement comme ce film, vous savez ? Le Retour de Freddy.

Quand Cathy était surexcitée, elle avait une façon de hausser la voix de telle sorte que ses phrases se terminaient sur une note plus aiguë que le reste des mots. En temps normal, l’enthousiasme de Cathy faisait sourire Anna, mais aujourd’hui il semblait seulement ajouter à la migraine qui se déclarait derrière sa tempe gauche.

— De quoi parles-tu ? demanda Beth.

— De ce film, Les Griffes de la nuit. Tu ne l’as pas vu ?

Beth secoua la tête.

— Je n’aime pas ce genre de chose.

— Trop effrayant, admit Anna.

Cathy sourit.

— Et pas très moral, exact ?

— Hum…

— Et la réalité, elle n’est pas effrayante ? poursuivit Cathy. Ce rêve que nous avons fait toutes les trois ?

— Synchronisme…, commença Anna.

— Excuse-moi, mais ce sont des foutaises, l’interrompit Cathy. Si nous avions regardé ensemble un film-catastrophe, là, d’accord. Mais pas à l’improviste comme ça. C’est incompréhensible. Et cet endroit m’a fichu une trouille monstre.

Anna acquiesça. Elle savait très bien ce que Cathy voulait dire. Elle n’avait jamais ressenti auparavant une telle impression de désolation… et de perte… C’était comme si tout ce qui est bon était mort. Il ne restait que la souffrance. Et la solitude.

— J’ai commencé par avoir peur, intervint Beth, mais ensuite j’ai senti… je ne sais pas. C’était comme si, tout à coup, je contrôlais mon existence. Tout. Pour la première fois c’était moi qui commandais. Je n’avais encore jamais éprouvé cela.

— Bonjour, docteur Freud ! dit Cathy. (Anna lui décocha un regard furieux, mais Cathy se contenta de hausser les épaules.) Je suis désolée, mais c’est vrai. Sinon, pourquoi quelqu’un aimerait-il un endroit pareil ?

— Ce n’était pas l’endroit, dit Beth. C’était cette sensation en moi.

— Du reste, ajouta Anna, nous sommes censés résoudre dans nos rêves les problèmes qui nous tracassent durant la journée.

Cathy haussa les sourcils.

— Toujours la psychologie des rêves ? Bon, d’accord. Alors, qu’est-ce que j’étais censée résoudre ? Et comment se fait-il que nous ayons été toutes les trois dans le même endroit… et que nous ayons vu ces graffitis sur le mur du séjour ?

— Je n’ai pas vu de graffitis, dit Beth.

— Non, mais Anna et moi les avons vus.

Anna frissonna en se souvenant. Le dessin obscène à côté des mots avait trop ressemblé à une caricature d’elle-même pour qu’elle se sente à son aise en y repensant.

— J’ai fait ce test, déclara-t-elle. Vous savez, quand on fait un rêve lucide. On détourne les yeux de mots écrits, et ensuite on les regarde à nouveau. Si les mots ont changé, c’est que vous êtes en train de rêver. S’ils n’ont pas changé…

— Et les mots ont changé ? Oh, je t’en prie ! s’écria Cathy lorsque Anna secoua la tête. Ne m’amène pas à penser que cet endroit existe vraiment quelque part !

Une expression mélancolique apparut sur les traits de Beth.

— Qui sait, ce ne serait peut-être pas aussi affreux, dit-elle.

Lorsque Cathy et Anna lui lancèrent des regards étonnés, elle poursuivit.

— Enfin, pas pour moi, du moins. (Son regard se posa sur Cathy.) Tu ne sais pas ce que j’ai enduré. Moi et beaucoup d’autres. Tout le monde m’a toujours exploitée, s’est servi de moi. C’était différent dans le rêve. Là-bas, je contrôlais mon existence. J’avais le sentiment que personne ne pouvait me faire du mal… que personne ne pouvait même me toucher.

Cathy secoua la tête.

— Si cet endroit était réel, pour rien au monde je ne voudrais y retourner. (Elle regarda Anna.) Tu t’imagines, rencontrer les salopards qui sont les auteurs de ces graffitis ? Jody et Kirk. Tu ne serais pas ravie de tomber sur eux par une nuit sombre ?

Beth devint livide.

— Mais cet endroit n’est pas réel, s’empressa de dire Anna. Et ces impressions que tu as éprouvées là-bas, Beth… tu peux les éprouver également ici.

— Ce n’est pas aussi simple.

— Je sais. Mais il faut que tu essaies. Ici, c’est le monde réel, où nous devons tous surmonter les obstacles qui se dressent sur notre chemin. Les rêves ne sont que… hum… des rêves, rien de plus.

Lorsqu’elle vit Beth se renfermer en elle-même, Anna regretta d’avoir prononcé ces mots. Pourquoi avait-elle toujours le sentiment que tout devait servir de leçon ? Beth avait suffisamment de problèmes comme ça. Elle n’avait pas besoin qu’on lui fasse la morale chaque fois qu’elle semblait manquer de confiance en elle-même.

Cathy se leva de la table.

— Bon, toujours d’accord pour aller faire du lèche-vitrines ? demanda-t-elle. Les soldes n’attendent pas, les filles !

— Tu veux venir ? demanda Anna à Beth.

— Non. Vous deux, allez-y. J’essaie de mettre de l’argent de côté.

Anna fut obligée de ravaler un « Tu es sûre que tout ira bien ? ». Fous-lui la paix, se dit-elle.

— Tu sais ce que je me demande ? fit Cathy alors qu’elles montaient au premier pour s’habiller.

Anna secoua la tête.

— Quoi ?

— Je me demande quel genre de rêves Jack a faits la nuit dernière.