Le brusque changement de position dans les ressorts du matelas amena Julie à se retourner. Ses yeux s’agrandirent. Elle connaissait bien cette sensation – quelqu’un s’extirpait du lit alors qu’elle était encore couchée – et c’était exactement ce qui s’était passé. Le flic s’était levé. Excepté qu’il n’était pas debout près du lit. Il n’était nulle part dans la chambre.
Étrange, pensa-t-elle. Comment a-t-il fait pour sortir de la chambre aussi vite ?
Elle resta allongée et écouta les bruits de son appartement.
Elle s’attendait à entendre un bruit de pas – la porte du frigo que l’on ouvrait, peut-être – ou Teigneux dans les chiottes, en train de pisser.
Rien.
Pas un bruit, excepté son réveil et le ronflement du frigo. La circulation dans la rue. Le bruit d’une radio provenant d’un autre appartement dans l’immeuble.
C’était tout à fait étrange.
Elle se leva et sortit de la chambre à pas feutrés, nu-pieds. Un tour complet de l’appartement lui apprit que le flic était parti. Si ce n’est que ses vêtements se trouvaient toujours dans la chambre.
Qu’est-ce que ça veut dire ? se demanda-t-elle, un peu effrayée. Il se balade dans les rues le cul à l’air ?
Peut-être que ce n’était pas une mauvaise chose. Il allait peut-être se faire alpaguer et ensuite, flic ou non, on le mettrait en taule et il ne débarquerait plus chez elle.
Elle retourna dans la chambre et farfouilla dans ses vêtements, trouva son portefeuille mais ne toucha pas à l’argent – trois dollars et de la petite monnaie, un sacré dépensier ! —, prit son pistolet, toujours dans son étui d’épaule.
Elle le soupesa dans ses mains.
Un flingue pouvait résoudre bien des problèmes. Elle imagina qu’elle le braquait sur le flic. Ou sur Reggie. Les morts ne vous emmerdent plus. Avec un peu de cran, elle pouvait…
Le grincement des ressorts du matelas la fit reposer rapidement le pistolet sur le complet de Boucher, et elle se retourna craintivement.
Il était revenu.
Il se mettait sur son séant, sur le lit, exactement comme s’il venait de se réveiller.
Comme s’il n’était jamais parti.
Teigneux essuya la sueur qui perlait sur son visage.
— Bordel de merde, murmura-t-il.
Il y avait un regard égaré dans ses yeux qui s’estompa lentement tandis qu’il regardait autour de lui. Julie ne dit rien. Elle se tenait immobile à côté de la chaise et le regardait fixement, essayant de comprendre ce qui se passait. Comment pouvait-il… apparaître comme ça ? Tout d’un coup. Parce qu’elle savait – elle savait – qu’il n’avait pas été dans ce lit une seconde plus tôt.
— Comment… comment as-tu fait ça ? parvint-elle finalement à demander.
Teigneux accommoda sur elle, plissant les yeux.
— Faire quoi ?
— Disparaître… Je veux dire, tu étais parti… et ensuite tu es réapparu…
Sa voix retomba quand elle aperçut le regard qu’il lui décochait.
— Je te l’ai déjà dit, grommela-t-il. Laisse tomber ces putains de drogues, ma petite.
— Mais je ne suis pas…
Défoncée, pensa-t-elle. Elle n’avait rien pris depuis deux heures avant de s’écrouler finalement sur son lit ce matin, s’endormant lentement tandis que l’euphorie s’estompait, avant que la déprime s’installe.
— Pourquoi tu me regardes comme ça ? demanda Teigneux d’un ton bourru.
— Pour rien, je t’assure.
— J’ai fait un rêve, c’est tout. Un rêve foutrement bizarre, d’accord ?
Elle hocha la tête. Les yeux de Teigneux étaient hagards tandis qu’il se rappelait ce qu’il avait vu avant de se réveiller.
Il avait rêvé. Exact.
Peut-être était-elle défoncée.
— Amène ton cul par ici, lui dit Teigneux.
Elle s’approcha vivement du lit. Elle n’avait même pas envie de se trouver dans la même pièce que lui, mais elle était trop effrayée pour faire autre chose que ce qu’il lui demandait. Dès qu’elle fut assez près, il l’attrapa et la fit tomber sur le lit, puis il la grimpa.
— Il faut que j’oublie, dit-il. C’est tout. Il faut que j’oublie toute cette merde.
Elle ferma les yeux sous l’effet de la douleur lorsqu’il la pénétra. Elle n’était pas prête, elle ne voulait pas faire ça, elle était trop sèche, mais il s’en foutait, et le contact de son corps… Elle avait l’impression qu’un cadavre se frottait contre elle.
Ses mains agrippèrent les draps et les tordirent convulsivement tandis qu’elle s’efforçait de ne pas crier.