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Jack saisit son pistolet avant que la créature n’exhale un second souffle ardent. Il se retourna et tira à bout portant, visant le torse, quatre fois. Chaque balle atteignit la créature, la rejeta en arrière, mais elle ne s’écroula pas. Elle oscilla au milieu de la boutique, elle respirait péniblement, en un sifflement rauque. Le mur derrière elle était aspergé du sang qui avait giclé avec les balles transperçant son corps. Jack n’attendit pas pour voir si elle rendait le dernier soupir ou si elle reprenait haleine. Il fonça vers la porte de la boutique et percuta quelqu’un.

Il fallut trois secondes à Jack pour le remettre.

John Paige. Le flic de la Circulation à qui il avait parlé dans la cuisine de Baker.

Paige se ressaisit le premier.

— Merde, qu’est-ce qui…

Jack le poussa de l’épaule.

— Foutons le camp d’ici !

Deux autres secondes s’écoulèrent. Jack prit fébrilement des balles dans la poche de son blouson et rechargea son arme. La musique était faite de trilles, des notes aiguës acérées comme des rasoirs, et lui blessait les tympans.

— Cet endroit…, commença Paige.

— On s’arrache ! cria Jack.

Il sentit que la créature arrivait derrière lui et un frisson lui parcourut l’échine. Trois autres secondes s’étaient écoulées. Les traits de Paige devinrent flasques, le sang se vida de sa peau. La musique gémissait comme un effet Larsen amplifié.

Jack se courba en deux, se laissa tomber de côté tout en essayant d’entraîner Paige dans sa chute.

Trop tard.

Le souffle ardent atteignit Paige en plein visage, brûla et détruisit la chair de sa tête et de ses épaules. Un instant, il agita les bras et se dandina, tel un personnage grotesque – il était mort debout, mais la partie inférieure de son corps ne le savait pas encore. Puis il commença à s’affaisser.

Alors que son crâne sans chair tombait vers le sol et que de la matière grise jaillissait des orbites et de dessous sa mâchoire, le cadavre commença à disparaître. Ce fut comme si, en s’écroulant, il tournait un coin de rue et était caché aux regards, excepté qu’il n’y avait pas de coin de rue ici.

Le cadavre repartait vers le monde d’où il était venu.

Pour offrir une vision de cauchemar dans une rue paisible d’Ottawa.

Jack ne s’attarda pas pour le voir disparaître complètement. Il s’élança vers l’escalier qui partait des boutiques en sous-sol, et le monta quatre à quatre pour rejoindre Elgin Street. Il avait eu seulement le temps de mettre trois balles dans le chargeur. Arrivé en haut de l’escalier, il se retourna et tira à nouveau sur la créature. À trois reprises. À bout portant. Aucune balle ne rata sa cible.

À nouveau elle se tint là, à osciller et à respirer péniblement. Jack prit ses jambes à son cou et rechargea son pistolet tout en courant. Il comptait les secondes. La dernière fois, il avait fallu onze secondes à la créature pour récupérer. De quatre balles qui lui avaient transpercé le corps. Cette fois, il l’avait touchée deux fois à la poitrine, et une fois en plein visage.

Trois secondes s’étaient déjà écoulées.

Il risqua un regard derrière lui. Elle relevait la tête. La moitié de son visage avait été emportée par la dernière balle. La chair d’une joue pendait en lambeaux ensanglantés. Maintenant, des langues sortaient par le trou de sa joue, aussi bien que du fond de sa gorge, et se tortillaient. Ses yeux sombres se posèrent sur lui.

Deux autre secondes passèrent.

La musique hurla dans les oreilles de Jack, tel le crissement d’ongles sur une ardoise, amplifié un millier de fois.

Si seulement j’avais un putain de lance-flammes, moi aussi, pensa Jack.

Les secondes passaient très vite.

Jack finit de recharger son arme. La créature s’était lancée à sa poursuite, elle flottait dans l’air. Il se retourna au milieu de la chaussée pour faire front, et prit la position qu’il avait apprise à l’école de police. Jambes écartées. Le bras qui tenait l’arme tendu, soutenu au poignet par sa main gauche.

Il savait qu’il n’avait aucune chance de s’en tirer, mais il était décidé à lutter jusqu’au bout avant de faire le grand saut.