Walt Hawkins et Ted Rimmer étaient assis sur la banquette avant de la vieille Chevy de Walt. Ils surveillaient la porte d’entrée d’une maison jumelle dans Sandy Hill, ce quartier d’Ottawa juste au sud du Marché en pleine rénovation tandis que les yuppies poursuivaient leur réhabilitation du cœur de la ville. La moitié de la maison qui les intéressait appartenait à un type nommé Alan Haines, le barman du Mexicali Rosa.
Le nom avait été facile à obtenir. Ils avaient attendu jusqu’à midi, puis Ted était entré dans le restaurant, un billet de dix dollars dans la main, et avait demandé au barman de jour quel était le nom du type qui était de nuit. Lorsque le gars derrière le comptoir voulut savoir pourquoi, Ted posa le billet de dix dollars sur le comptoir.
— Parce que je lui dois ceci. Vous voulez bien le lui remettre ?
— Bien sûr. Je le donnerai à Alan.
— Alan ?
— Alan Haines.
— C’est bien le type en question, fit Ted, et il s’en alla en lui faisant un geste désinvolte de la main.
Ensuite ils n’eurent plus qu’à chercher dans l’annuaire du téléphone et à se rendre dare-dare à l’adresse indiquée. Simple comme bonjour. La grande marrade. Excepté qu’ils attendaient dans la bagnole depuis plus de quarante-cinq minutes et qu’ils commençaient à se faire chier royalement.
— Bon, tu récupères ta nana, dit Ted, tournant la tête pour regarder Walt, et ensuite, quel est le topo ?
— Que veux-tu dire ?
— Eh bien, tu comptes la garder, ou bien tu la cognes un peu et tu la balances, ou quoi ?
— C’est ma femme. Elle est censée vivre avec moi.
— D’accord, d’accord. Alors dis-moi une chose. Tous ces gens à qui tu as conseillé de s’occuper de leurs oignons… À ton avis, qu’est-ce qu’ils vont faire, aussi sec, quand ils apprendront qu’elle a disparu ? Je vais te dire quoi. Ils se précipiteront chez les poulets. Tu vas ramener ta nana à ton appart, exact ? Et quel est le premier endroit où les flics viendront fourrer leur nez ?
Walt laissa quelques instants s’écouler.
— Je vois ce que tu veux dire, fit-il finalement.
— Tu sais ce que tu devrais faire, à mon avis ?
Walt secoua la tête.
— Tu kidnappes ta nana et tu te planques quelque part pendant un moment, un bungalow ou un truc comme ça. Un endroit que personne ne connaît : tu seras peinard. Je peux la garder si tu veux, pendant que tu vaques à tes affaires, deux ou trois jours. Les poulets se pointent chez toi, tu sais rien de rien. Tu es blanc comme neige. Ils s’en vont et ensuite tu peux faire ce que tu veux chez toi. Ils ne viendront pas frapper à ta porte une deuxième fois. Ils ont à s’occuper de choses plus importantes… comme d’alpaguer le type qui a zigouillé ce Baker. Tu as entendu cette histoire à la radio, ce matin ? (Ted secoua la tête.) Tu trouves ça normal, Walt ? Un type fait une fleur aux poulets, et pourtant ils veulent le retrouver et le mettre en taule pour ça. Merde, c’est pas croyable !
Walt regarda à nouveau la maison d’Alan Haines.
— J’aime pas beaucoup ça. Ce type sauta ma nana et il paierait pas pour ça ?
— Alors où est le problème ? demanda Ted. Attends deux semaines, ensuite tu viens le trouver et tu lui arranges le portrait. C’est du gâteau, Walt. Alors, qu’est-ce que tu en dis ? On passe aux choses sérieuses et on met le grappin sur ta gonzesse, ou bien on laisse tomber comme deux lavettes ?
Walt fit démarrer le moteur de la Chevy.
— J’aime ta façon de penser, fit-il à son compagnon.
— Ouais, j’ai un faible pour ça, moi aussi. (Il se tapota le front.) Il faut rester futé pour rester au sommet… C’est ce que mon vieux me répétait souvent.
Walt eut un large sourire.
— Cette fois, lorsque je serai au sommet, déclara-t-il, je ne redescendrai plus jamais.
— Mon vieux t’aurait eu à la bonne, dit Ted tandis que la Chevy s’éloignait du trottoir.