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La salle de briefing était bondée lorsque Ned et son coéquipier entrèrent. Duchaine prit une chaise à côté de Gilles Ouellette, le sergent de la brigade des incendies criminels. Représentant le service des Enquêtes, il y avait leur propre sergent, Andy Coe, et le commissaire Fournier, chargé des communiqués officiels pour la presse. Étaient également présents l’inspecteur Vicki Watson du service Agression Sexuelle / Mauvais Traitements à Enfants ; le Dr Barrett Kiers, le coroner de permanence la nuit dernière lorsque les premiers rapports étaient parvenus au commissariat ; les officiers de police Benoit Pétrin et Lisa Lachance, et le sergent Gord Ferris, de l’Identité judiciaire ; et le commissaire principal Jacques Mondoux.

Fournier se leva pour prendre la parole tandis que Ned et Grier s’asseyaient à leurs places respectives. Brièvement et avec concision, il donna un aperçu général de ce qu’ils avaient jusqu’ici, puis il demanda des rapports plus détaillés, en commençant par le Dr Kiers. Ned connaissait déjà les résultats ; il était présent lorsque Kiers avait pratiqué les autopsies. Il n’apprit qu’une seule chose : grâce au nom que Jack avait indiqué à Ned, ils avaient été en mesure d’obtenir la fiche dentaire de Janet Rowe et d’identifier formellement son corps.

Ned griffonnait distraitement sur le bloc placé devant lui tandis que diverses hypothèses sur les circonstances de la mort de Baker étaient avancées puis écartées. Les débats n’attirèrent son attention de nouveau seulement lorsque Fournier donna la parole à l’inspecteur Watson, du service Agression Sexuelle / Mauvais Traitements à Enfants. Vicki Watson était une très jolie femme approchant de la quarantaine. Sa maturité commençait à apparaître sur ses traits, ce qui l’aiderait probablement dans sa carrière, songea Ned. Elle lui lança un regard tandis qu’elle commençait à faire son rapport, mais ne lui rendit pas son sourire. Ils avaient travaillé ensemble avant que Ned ne soit muté et, depuis lors, ils avaient gardé de bonnes relations de travail, aussi Ned fut-il surpris par sa froideur. Puis il se rappela ce que Ernie lui avait dit un peu plus tôt : J’ai l’impression que personne ne tient à rester à côté de moi, ce matin

Le service de Watson n’avait pas de dossier sur Baker, ne serait-ce que des on-dit.

— Mais cela n’est pas vraiment surprenant, fit-elle observer, quand on considère le seul volume des incidents qui existent. Les affaires sur lesquelles nous sommes amenés à enquêter ne représentent que la partie visible de l’iceberg. D’autant plus que, lorsqu’ils ont été victimes d’un viol, ces gosses se sentent coupables. Ils finissent par croire que c’est entièrement leur faute, et ils dissimulent à tout le monde ce qui s’est passé. Et ce qui n’arrange rien, ce sont les menaces que les auteurs de ces viols profèrent à leur encontre… Ce qu’il leur arrivera s’ils parlent, à eux, mais surtout à l’un des parents, ou à un animal de compagnie, ou même à un personnage de dessins animés dans le cas de très jeunes victimes.

« Ce qui est surprenant dans cette affaire, ce n’est pas tellement ce que Baker faisait, mais que nous l’ayons découvert.

— Allons, Vicki, intervint Duchaine. Ce type ne se livrait pas simplement à des sévices sexuels sur des gosses, il les dépeçait.

Watson acquiesça.

— C’est un cas extrême, je vous l’accorde volontiers, mais les mobiles de Baker se résument à la même chose qui les motive tous… Un besoin de puissance. Ces individus font ce qu’ils font à des enfants uniquement pour la sensation de toute-puissance que cela leur procure. Ce que Baker a fait à la jeune Rowe était une exception à la règle, à ce que font la plupart des auteurs de viols. Il a augmenté la proportion de sa puissance sur sa victime jusqu’à des niveaux démentiels, mais cela provenait néanmoins de son besoin d’être celui qui contrôle tout.

— Ce type était une ordure, murmura quelqu’un au bout de la table.

— J’ai vérifié auprès des services de protection de l’enfance, poursuivit Watson, et Baker était blanc comme neige là-bas, même s’il figurait dans leurs dossiers. Les fugueurs traînent souvent dans les clubs, les discothèques, ce genre d’endroits où il y a de la musique, et il semblerait que le studio d’enregistrement de Baker était un lieu de rencontre pour de jeunes musiciens pleins d’espoir, certes, mais aussi pour un tas de gosses. Cependant, rien n’indique, avant cette affaire, que Baker ait été autre chose que ce qu’il semblait être : un mécène et un philanthrope, joignant le geste à la parole. En fait, à plusieurs reprises il a donné leur chance à des fugueurs. Les services sociaux n’ont que du bien à dire à son propos… n’avaient, devrais-je plutôt dire.

— Est-ce que celui qui a tué Baker était également responsable de la mort de la fille ?

La question venait du commissaire principal, Jacques Mondoux, un homme aux cheveux grisonnants, un vieux de la vieille, trente-cinq ans dans la police. Une préoccupation typique de la hiérarchie, songea Ned. La racaille dans la rue était capable des pires méfaits, mais mettons-nous en quatre pour Monsieur Tout-le-monde. Le sergent de l’Identité judiciaire répondit.

— Non, si l’on considère la nature même de la pièce où nous l’avons trouvée, dit Ferris. Il est clair que Baker l’avait fait construire dans un but précis… pour l’usage qu’il lui destinait. Il y a un pan de mur qui se ferme de façon à rendre la pièce impossible à détecter. Elle est bâtie plus en retrait, sous la cour, c’est pourquoi vous devez savoir qu’elle existe avant même d’être en mesure de commencer à la chercher.

— Et les empreintes ? demanda Fournier.

Ferris hocha la tête. Il commençait à avoir quelques fils argentés parmi ses cheveux roux, remarqua Ned. Seigneur, ils vieillissaient tous.

— Je m’apprêtais à en parler, répondit Ferris. Nous avons relevé des douzaines d’empreintes latentes dans toute la maison, mais les seules relevées dans cette pièce étaient celles de Baker et de la fille.

Baker ne s’était pas encore débarrassé de la peau de la jeune fille, se souvint Ned. Ils l’avaient trouvée dans un sac-poubelle vert, sous la table métallique sur laquelle gisait le corps. Les gars de l’Identité judiciaire avaient demandé les empreintes de la jeune fille afin de les comparer avec les bourrelets du bout de ses doigts que l’on avait trouvés dans le contenu macabre du sac-poubelle.

— Ainsi donc, à moins qu’il n’y ait eu une troisième ou une quatrième personne portant des gants de caoutchouc, poursuivit Fournier, nous sommes obligés de supposer que la fille a été tuée par Baker.

— Sa première victime ? demanda le commissaire principal.

— Il nous est impossible de le savoir pour le moment, dit Fournier. Mais, au vu de l’aménagement de cette pièce – les travaux de restauration ont été effectués il y a une dizaine d’années, d’après le permis de construire délivré par la mairie –, je doute fort qu’elle ait été sa première victime, hélas ! Nous avons commencé à fouiller le jardin autour de la maison ce matin.

Ferris termina son rapport. Des photographies et des croquis du lieu du crime, ainsi que des listes des preuves matérielles, passèrent de main en main.

— Je n’ai pas besoin de vous dire que la presse va s’emparer de cette affaire, déclara le commissaire principal Mondoux. Il nous faut des résultats dans les plus brefs délais. Le commissaire Fournier continuera de coordonner l’enquête et fera tous les communiqués nécessaires à la presse. Si quelqu’un a des…

À ce moment, le téléphone posé près de Fournier sonna et en fit sursauter plus d’un. Fournier prit l’appareil. Ned vit que son visage se crispait tandis qu’il écoutait son interlocuteur, et il ressentit un spasme nerveux au creux de son estomac.

Quelque part, il se passait quelque chose de grave…

— Vous êtes sûr ? disait Fournier. Oui, mais…

Le désarroi se lisait sur ses traits, mélangé à autre chose que Ned ne parvint pas à identifier.

— Non, dit Fournier avant de raccrocher. Ne touchez à rien. Nous descendons tout de suite.

Il reposa le combiné sur son socle puis baissa les yeux vers la table.

— On nous réclame au stand de tir, dit-il.