Mme Jonas dormait mal. Oppressée, elle se réveillait, se retournait du côté gauche sur le côté droit ou inversement, se rendormait, s’éveillait de nouveau, essayait la position sur le dos ou sur le ventre, respirait profondément pour se détendre, ça n’allait, pas mieux, elle avait l’impression d’être enfermée au fond d’un placard, sous une pile de linge écroulée.

Et tout à coup, sortant d’un court sommeil agité, elle entendit…

Etait-ce possible ? Elle rêvait !…

Ouah, ouah !…

Ouah, ouah, ouah !…

Bèè, bèè, bèè, bèè, bèè…

Bâââ…

Et ding ding ding !

Elle se leva d’un bond, et suffoqua. Son coeur battait contre ses côtes. Mais qu’est-ce qui se passe ? Henri ?…

Elle entra dans la chambre de son mari, contiguë à la sienne, et alluma la lampe de chevet. Il dormait, couvert de sueur, respirait à petits coups rapides. Elle l’épongea avec un coin du drap. Il s’éveilla, la découvrit penchée vers lui. Elle dormait nue, et était venue ainsi. Il vit, suspendus vers son visage, les seins très ronds, très doux, très riches, offerts comme des fruits. Et autour d’eux s’ordonnaient les courbes parfaites des épaules, des bras, du ventre… Il pensa qu’il n’y avait rien de plus beau au monde que sa femme. Il le lui dit en souriant de bonheur.

— Lucie, que tu es belle !… Viens !…

Il s’écarta pour lui faire place dans son lit.

— C’est bien le moment ! Tu entends pas ?…

Il entendait. Mais il croyait que c’était un reste de souvenir rêvé.

Il s’assit vivement, et ce simple effort le fit haleter.

— Bon sang ! L’oxygène !…

À ce moment éclatèrent les trompettes du chameau et des trois chamelles, qui protestaient contre le manque d’air.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? dit Mme Jonas effarée.

— Je ne sais pas !… Des vaches ?

— Sûrement pas… Des vaches, j’en ai entendu en Auvergne, ça fait « meeuh »…

Son imitation de la vache lui coupa le souffle.

— Qu’est-ce qu’il y a dans l’air ? Je… je peux plus… on peut plus respirer…

— Ce n’est pas quelque chose qu’il y a… C’est quelque chose qu’il n’y a plus… Les bêtes se réveillent… Elles respirent… Elles pompent l’oxygène…

— Il faut les rendormir, ces saletés !…

— C’est impossible, on n’a pas le matériel…

— Maman ! Maman !…

Jif criait, effrayée. Son appel s’acheva en toux. Mme Jonas passa rapidement sa robe à mouettes et rejoignit sa fille. Jim était déjà auprès d’elle.

— Maman !… Qu’est-ce que c’est…. ces bruits ?… Je peux pas respirer…

— C’est les bêtes… Elles se réveillent… Elles boivent l’oxygène… N’ayez pas peur… Papa va trouver… un moyen…

Jim gonfla ses poumons, recommença, et recommença encore, furieux du résultat médiocre.

— Un moyen ? dit-il. Il n’y en a qu’un… Il faut ouvrir l’Arche ! Vite !… Où est papa ?

— Dans l’Atelier…

M. Jonas bricolait un générateur d’oxygène. C’était sans espoir. Il pourrait peut-être en fabriquer quelques litres à l’heure, alors qu’il en aurait fallu des mètres cubes, avec tous ces poumons animaux qui dévoraient le fluide de vie. Ce n’était d’ailleurs pas logique, pas normal. Même avec toutes les bêtes réveillées, l’oxygène n’aurait pas dû manquer aussi rapidement. C’était peut-être Sainte-Anna qui l’absorbait. L’équilibre de l’Arche était détruit. Un autre signe en était la chaleur, qui augmentait M. Jonas transpirait, il avait soif. Il tendit une coupelle de verre et tourna un robinet. L’eau ne coula pas. La tuyauterie chuinta puis se tut. La lumière blanche s’alluma partout. Le jour commençait.

Une rose au paradis
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