L’Arche était un cylindre d’acier enfoncé verticalement dans la terre. Sa hauteur était de cent vingt mètres, et son diamètre de trente. Elle se composait de plusieurs étages superposés, celui du haut étant réservé aux humains.
Au centre de l’étage se trouvait le grand salon rond, lieu de réunion, salle commune, où s’ouvrait le Trou et aboutissait le Distributeur. Il était rarement vide, chacun le traversait ou s’y installait à toute heure du jour. Son meuble principal était le grand divan violine en forme de croissant, qui épousait la courbe du mur avec ses grands coussins en capiton de faux cuir, doux, mous, solides, indestructibles. Le reste du mobilier réunissait des pièces de styles divers, hétéroclites, mais bien choisies et s’accordant. Un couloir circulaire encerclait le salon. Autour du couloir étaient situés les cinq chambres, l’atelier de M. Jonas, la pelouse-fontaine, et la salle de gymnastique. Soit huit pièces disposées comme les tranches d’une couronne.
Autour d’elles courait un second couloir d’où partaient les ascenseurs, escaliers et glissoirs, plongeant vers les autres étages.
Sous les humains se trouvait l’étage des bêtes. C’était le plus épais. Les bêtes en hibernation reposaient, seules, ou par couples ou familles, dans des cases séparées, hermétiques, dix en largeur, dix en longueur et dix en hauteur. Seules certaines cases du haut avaient un plafond transparent, pour la distraction des passagers de l’Arche.
Au-dessous des bêtes, une tranche circulaire de l’Arche contenait l’énorme réserve de graines, rhizomes, tubercules, stolons, boutures, drupes, gousses, pépins, amandes, racines, greffes, bourgeons, marcottes, et tous autres éléments de reproduction des arbres, arbustes, plantes et plantules, conservés chacun dans les conditions qui lui convenaient, surgelé ou déshydraté ou dans un gaz neutre ou dans un cocon de plastique, ou simplement dans le noir et au sec. Cette armée silencieuse devait partir à la conquête de la Terre et y réinstaller la vie végétale, avant qu’il soit possible de réveiller les animaux.
Le fond de l’Arche contenait l’étage de la machinerie. C’était M. Jonas qui veillait sur celle-ci. Son travail n’était pas très absorbant. L’ordinateur et ses annexes électroniques, mécaniques et physico-chimiques fonctionnaient si parfaitement qu’il n’avait, en pratique, rien d’autre à faire que les regarder, et remplacer de temps en temps une pièce qui s’usait par une pièce neuve. Il en possédait un stock prévu pour durer au moins cent ans. Tous les circuits et tous les mécanismes essentiels avaient été installés en quatre exemplaires, susceptibles de se remplacer automatiquement en cas de panne. L’énergie, inépuisable, provenait d’une pile universelle, ou pile U, ou plus simplement pilu. Elle était le coeur de l’Arche. De telles piles avaient été les coeurs des bombes qui avaient rasé la Terre. La pilu de l’Arche, surpuissante, était grosse comme une pastèque.
Enfin, sous la machinerie, la soute abritait un certain nombre d’engins et d’outils, tels que charrues, chariots, scies, bêches, barques, tentes, baraques, etc., qui seraient nécessaires aux premières générations. Tous étaient sans moteurs.
Sainte-Anna cliquetait, ronronnait, rythmait le temps de l’Arche, le temps interminable. Mme Jonas racontait, tricotait, M. Jonas bricolait, M. Gé souriait, les enfants grandissaient.
Ainsi parvinrent-ils en leur seizième année.