Le mur canari s’ouvrit, révélant une grande pièce voûtée, pareille à un bateau posé à l’envers. Un bateau d’or. Du moins la matière dont étaient faits les murs qui se rejoignaient comme des mains jointes, avait-elle, la couleur et l’aspect d’un or mat, de teinte chaude.
Sur la gauche, une fontaine provençale aux trois dauphins de pierre coulait près d’un cyprès dont le doigt pointu grattait la jointure des arches.
— Henri ! demanda Mme Jonas, où tu m’as fait emmener ? C’est pas la clinique des Soeurs du Bon Secours !
— Ne t’inquiète pas, je vais t’expliquer, tout va bien…
— Aah ! hurla Mme Jonas en se cramponnant aux bords de la civière, ne me quitte pas ! Henri ne me quitte pas !
— Je ne te quitte pas ! Ma chérie ! tout va bien ! tout va très bien !
— AaaaAAh !
— Respire ! Comme on t’a montré ! Respire ! Détends-toi !
— Détends-toi ! Tu en as de bonnes, toi ! Aaaaah ! Ne me quitte pas ! Donne-moi ta main !…
Il lui tendit sa main droite. Elle s’y cramponna et y enfonça ses dix ongles.
Ils crièrent ensemble :
— AaaAAAh !
Jonas reprit son souffle, se tourna vers M. Gé et lui demanda à voix basse :
— Vous avez prévu un accoucheur ?
— Vous êtes médecin…, répondit M. Gé, en se penchant vers la civière. Il appuya sur un bouton et la civière roula doucement de la pièce jaune à la pièce d’or.
Elle s’arrêta près de la fontaine.
— C’est de l’eau stérile, dit M. Gé, plus pure que de l’eau bouillie… Dans tous les films que j’ai vus, on fait bouillir de l’eau quand une femme accouche. Je ne sais pas à quoi cela sert mais je suppose que ce doit être utile ? Préférez-vous que je vous laisse, ou avez-vous besoin de moi ?
— Qui c’est ? demanda Mme Jonas, gémissante. C’est pas un docteur ? Où est le Dr Sésame ?
Elle cria :
— Henri ! Où tu m’as emmenée ? AaaaAAAh !
Jonas léchait sa main saignante et regardait avec horreur sa femme qui s’arc-boutait sur la civière. Il se sentait totalement incapable, incompétent, dépassé, bon à rien.
— Henri ! cria Mme Jonas, il arrive ! Aide-moi ! Il… il arrive !…
Jonas respira un grand coup, se laissa tomber à genoux, prit machinalement des ciseaux que lui tendait M. Gé, fendit le tournesol jusqu’au menton, fendit la culotte à fleurs et le soutien-gorge.
La mère n’avait plus besoin d’aide, plus besoin de personne. Du fond des millions d’années la connaissance primitive était tout à coup arrivée jusqu’à elle. Elle poussait, s’arrêtait, se reposait, poussait de nouveau, elle sentait son enfant hésiter au moment de se séparer d’elle, elle le poussait doucement au-dehors, vers la vie, elle l’encourageait, sans rien dire, ils se comprenaient, il n’avait plus peur… il se décidait…
Au moment où il passa la tête, que son père agenouillé reçut au creux de ses mains, M. Gé posa son doigt sur une touche d’un clavier dessiné dans le mur. Des oiseaux se mirent à chanter dans le cyprès, et dans le saule pleureur, dans la fontaine et dans les murs, le rossignol de nuit et l’alouette lointaine, le merle du matin, la tourterelle et la grive et d’autres oiseaux du monde, avec la brise dans le haut des arbres et le rire des ruisseaux chatouillés, l’odeur des tilleuls et de la verveine, du thym surchauffé et de la mousse mouillée, de la prairie tondue et de la forêt qui couve ses champignons. Ainsi le premier cri de l’enfant ne fut pas de douleur, mais une note de vie qui prit sa place dans le concert vivant venu de toutes parts.
Avant de le regarder lui-même, Jonas avait soulevé l’enfant pour le montrer à sa mère. Elle avait vu que c’était une fille, qu’elle était blonde, et qu’elle ressemblait à son père. Elle ferma les yeux de bonheur et s’endormit. Elle se réveilla un quart d’heure plus tard pour faire le second. C’était un garçon, il était encore plus beau que la fille, et ne ressemblait à personne.