Dans son engin volant presque silencieux, assaillie par la mélancolie et la solitude, Lucie eut la brusque révélation qu’elle était pareille aux bêtes des usines : coincée dans une chaîne inepte de travail sans joie, et qui ne prendrait fin que par sa propre fin.
À trente-deux ans, elle n’avait encore trouvé ni amour véritable, ni une tâche qui lui plût. Elle avait longtemps espéré rencontrer des raisons de vivre mais en cette minute elle se demandait si ces raisons pouvaient normalement exister, et si ce qui était normal ce n’était pas de se résigner…
Avoir été jeune pour rien… N’avoir plus envie de le rester…
Se laisser pousser par le temps dans l’usure de l’âge, sans résistance, le tuyau dans la bouche et la ventouse au derrière, jusqu’au dernier yaourt…
À moins qu’un jour ou l’autre la nouvelle Bombe ne vienne mettre un terme fulgurant à cette absurdité ?
Elle se demandait si elle ne ferait pas mieux de se laisser tomber brusquement avec son petit biplace orange dans l’Allier en crue qu’elle était en train de survoler…
À cet instant précis, son moteur s’arrêta, et l’autogire se mit à glisser sur le flanc. Lucie retrouva d’un seul coup un goût merveilleux à la vie, et se cramponna aux commandes.
Le moteur refusait de repartir, et l’appareil descendait rapidement, soutenu par son rotor libre, Lucie repéra un courant ascendant couronné par un minuscule nimbus, l’intercepta, rebondit sur lui, et se posa finalement sans dommage dans l’étroite vallée de l’Ardoisière, sur la pelouse de l’Usine UA 27.2.
Lorsqu’elle mit le pied sur le gazon, Lucie était bien loin d’imaginer qu’à cet endroit même, et dans très peu de temps, son destin allait changer de façon fabuleuse…