Jim entra dans le salon en criant le nom de M. Gé. Jamais, jamais M. Gé n’était resté sans répondre à un appel. Quelque chose de grave était arrivé. Il était peut-être fâché, il était peut-être parti, il était sorti tout seul en haut, il avait traversé le mur et les cailloux, il les avait abandonnés !…
À cette pensée, Jim sentit ses jambes fondre. M. Gé avait fait l’Arche, l’Arche était le Monde, M. Gé savait tout, pouvait tout, M. Gé leur donnait l’air, la lumière et les poulets de chaque jour, M. Gé était bon, M. Gé les aimait, veillait sur eux, avait sauvé son père et sa mère et avait fait grandir Jif et lui, M. Gé allait ouvrir l’Arche vers le Paradis, sans lui on ne pouvait rien, sans lui on n’était plus rien…
Jim se sentit si misérable que les appels ne purent plus sortir de ses lèvres. Il se laissa tomber au bord du divan, hébété, il avait froid, il était devenu vide à l’intérieur et se ratatinait.
L’horloge s’alluma.
C’était le visage de Jean XXIII, empreint de gravité.
— Dieu est mort, dit-il.
— Dieu ?
— Je veux dire le vôtre : M. Gé…
— Ce n’est pas possible !
Jim s’était redressé comme un ressort et interpellait l’horloge.
— M. Gé ne peut pas mourir !
La mort, mourir, il ne savait pas très bien ce que cela signifiait, mais il devinait que c’était définitif et terrible. Cela ne pouvait pas s’appliquer à M. Gé !
— Hélas ! dit l’horloge… Il est bon que vous soyez mis au courant. Voici votre soeur qui arrive. Enfin vêtue !… Asseyez-vous tous les deux, et regardez…
Le visage de Jean XXIII s’effaça et toute la surface du plafond refléta comme un miroir les événements qui s’étaient déroulés au-dessous de lui un peu plus tôt.
Jim et Jif virent et entendirent M. et Mme Jonas discuter la tête en bas, M. Gé entrer de même, se baisser vers le haut pour prendre les restes du poulet, les porter au Trou, Mme Jonas foncer et M. Gé s’envoler vers les profondeurs de Sainte-Anna.
Gros glouf.