Contrairement à ce que pensait M. Jonas, le coq s’était caché, involontairement.
Après l’agressivité et la pulsion sexuelle, le troisième instinct qui s’éveilla en lui fut celui de la nécessité de se nourrir. Passant devant la porte transparente d’une case, il vit à l’intérieur quelque chose de rond qui brillait, et il décida qu’il allait le manger. C’était minuscule par rapport à son appétit, mais les gallinacés en liberté se nourrissent ainsi, de petits grains et d’insectes infimes qu’ils picorent un à un entre les brins d’herbe ou dans la poussière. Il leur en faut beaucoup. C’est pourquoi ils sont si occupés, toute la journée.
Ce qui avait éveillé le réflexe picoreur du coq était l’oeil du chameau qui dormait, couché de profil, les yeux ouverts. Le coq projeta sa tête et son bec vers l’oeil appétissant, et son bec heurta la porte transparente. Celle-ci, incassable, ne subit aucun dommage. Ne voyant pas l’obstacle auquel il se cognait, le coq en ignora l’existence et, stupide comme un coq, recommença et recommença et recommença à vouloir gober l’oeil du chameau. Et, parmi les coups violents de son bec formidable, plusieurs atteignirent la plaque d’ouverture, la déformèrent, l’enfoncèrent et la coincèrent. La porte glissa sur le côté.
L’élan du coup de bec suivant projeta le coq à l’intérieur de la case. Le froid absolu le saisit et, en un instant, le congela à bloc. Mais, sans les précautions de la cryogénie, le froid fit exploser chacune de ses cellules. Totalement détruit, il devint mort sans s’en apercevoir, après une courte vie incompréhensible. pleine de stupeurs et vide de satisfactions.
Dur comme pierre, il tomba sur le chameau et glissa derrière lui.
Sa plaque coincée, la porte resta ouverte. Et le chameau commença à se réchauffer.
Un tel accident, bien que tout à fait improbable, avait été prévu. Un réchauffement par la température ambiante aurait été interminable, et mortel à cause de sa lenteur, le coeur étant encore gelé alors que les couches externes du corps, et le cerveau, dégelés, auraient réclamé du sang chaud.
Pour sauver le chameau, le mécanisme de réveil immédiat se déclencha. Un flot d’ondes ultra-courtes le réchauffa instantanément, dans toute son épaisseur, jusqu’à sa température normale de camélidé. Alors il poussa un grand soupir de chameau, ferma les yeux et s’endormit d’un sommeil normal, d’où il sortirait au bout de quelques heures, totalement dispos.
La tranche du programme de réveil ainsi mise en route ne concernait pas que lui. Elle comprenait aussi, naturellement, ses trois chamelles. Et les vingt-six brebis avec leur bélier.
Tout ce bétail n’aurait dû être réveillé que bien plus tard, quand le premier enfant de Jim et Jif aurait été assez grand pour garder les moutons.
Flic et Floc. le couple de chiens de bergers labrits, furent mis eux aussi en réveil immédiat. Et ces trente-trois bêtes, après seize ans d’immobilité, dormirent d’un sommeil tiède et réparateur. En respirant profondément.