Ils trouvèrent Jim et Jif devant la chambre de M. Gé. Jim avait remis son short, et Jif s’était enveloppée dans son drap à fleurettes, entièrement, des pieds à la tête. Elle avait fait un noeud à la poitrine et un à la taille, pour se couvrir partout.
Ils se tenaient par la main et regardaient la porte de la chambre. Et la porte était grande ouverte.
— Oh ! s’exclama Mme Jonas.
Elle se précipita pour entrer enfin dans ce lieu interdit que ne défendaient plus M. Gé ni la porte Jif lui barra le passage avec son bras.
— Non ! M. Gé ne serait pas content !… N’entre pas, mais regarde !… Qu’est-ce que c’est ?Regarde !…
La chambre était entièrement vide, sans un seul meuble, pas même, un siège. La moquette verte semblait n’avoir jamais été foulée. Au milieu de la pièce, sur un petit tapis de soie chinois, carré, bleu, gris et vert pâle, était couché ce que Jim montrait du doigt.
— Une rose ! dit Mme Jonas stupéfaite. C’est une rose !…
— Oh ! On… on dirait, balbutia M. Jonas, celle qu’il… tu sais, il y a seize ans, quand il est entré dans l’ascenseur, il a emporté une rose…
— Une rose…, dit doucement Jim émerveillé.
— Je m’en souviens, dit Mme Jonas. J’étais endormie, couchée sur la civière, j’ai ouvert les yeux et j’ai vu un grand homme blanc qui tenait une rose… Une rose rose… Ça peut pas être la même, évidemment… Mais d’où il la sort ?… Je te parie qu’elle est en plastique !
— Non, dit M. Jonas. Sens…
Le parfum de la rose emplissait la chambre et coulait dans le couloir.
— Comme c’est agréaaable ! dit Jif. C’est la rose ?
— Oui, dit M. Jonas.
— Je la veux ! Jim, donne-la-moi…
— Non, dit Jim. Non ! Elle est à M. Gé, je n’y toucherai pas !
— Tu m’aimes ! Va me la chercher !
— Non !
— Je la veux !
Elle lâcha la main de Jim et fit un pas vers la porte ouverte. Jim se jeta devant elle et lui fit face, ses bras écartés appuyés au chambranle l’empêchant de passer.
— Jim ! dit sa mère, on ne doit rien refuser à une femme enceinte ! Laisse-la entrer !…
— Non ! C’est à M. Gé… Qu’elle la demande à M. Gé !…
— Monsieur Gé, demanda Jif, vous me donnez la rose ?
Jif et Jim attendaient la réponse, le visage un peu levé vers le plafond, comme toujours quand ils interrogeaient M. Gé absent, mais M. Gé ne répondait pas.
Mme Jonas, gênée, commença à se demander comment elle allait dire à Jim ce qu’elle avait fait, et comment il allait le prendre.
— Monsieur Gé ! répéta Jif impatiente, répondez-moi ! Je voudrais la rose ! Vous me la donnez ?
— Oh ! dit Mme Jonas.
Elle tendit vers l’intérieur de la chambre un doigt qui tremblait un peu. Ils regardèrent tous.
Sur le précieux tapis, la rose couchée était en train de s’effeuiller. Elle s’ouvrait comme une main lasse. Ses pétales s’écartaient, se détachaient un à un et se posaient doucement autour d’elle.
— C’est un malheur ! dit Jim d’une voix étranglée.
Il se mit à crier :
— Monsieur Gé, il y a un malheur ! Monsieur Gé, répondez ! Monsieur Gé, où êtes-vous ?
Bousculant Jif et ses parents, il se mit à courir dans le couloir en appelant M. Gé et criant le malheur.
— Maman ! dit Jif, en se blottissant contre sa mère.
— N’aie pas peur, ma beline, dit Mme Jonas. C’est une rose qui s’effeuille. Ça arrive à toutes les roses… Mais comment tu es attifée ? Pourquoi tu t’es mis ce machin autour ?
— J’étais nue, dit Jif. Elle appela :
— Jim ! Attends-moi ! Jim !
Et elle se mit à courir, un pan du drap volant derrière elle.
— Eh bien, dit M. Jonas, il ne va pas prendre ça bien du tout, notre garçon. Et comment vas-tu le lui dire ?
— Je lui dirai rien ! Il a pas besoin de savoir ! M. Gé aura disparu, c’est tout… Ça cadre très bien avec son personnage…
C’était la question de son mari qui lui avait, à l’instant même, suggéré la solution. Elle se sentit soulagée d’un poids énorme.
Mais Jim et Jif étaient en train d’apprendre, très exactement, ce qui s’était passé.