La bombe U. On disait « la Bombu », en abréviation de « bombe universelle », et par une sorte de familiarité effrayante, comme on pourrait être familier avec le diable.
Elle avait relégué au rang de pétard les antiques bombes A, H, et N. Mais plus que sa puissance fabuleuse, ce qui constituait son danger, c’était sa facilité de fabrication et la relative modestie de son prix de revient. Poussés par le flot montant des connaissances, les grands physiciens épouvantés avaient mis au point sa formule un peu partout en même temps, puis les physiciens moindres l’avaient à leur tour découverte avec stupeur, et enfin elle était arrivée jusqu’aux professeurs de lycée et à leurs élèves. Les petites nations s’étaient jetées dessus. Toutes celles qui avaient signé le traité de non- prolifération des armes nucléaires parce qu’elles n’avaient pas les moyens de les fabriquer, se mirent joyeusement à pondre des Bombu. Le temps de l’humiliation devant les grandes puissances était terminé. Les choristes, maintenant, chantaient aussi fort que le ténor et la prima donna, la dissuasion jouait à tous les échelons de la richesse. L’Inde manquait toujours de riz mais possédait assez de bombes pour raser la Chine ; Saint-Domingue était devenu un géant qui menaçait les États-Unis ; la Corse et la Bretagne se fabriquèrent la bombe et obtinrent leur indépendance, qui les embarrassa énormément ; Milan et la Sicile menacèrent de raser Rome ; par précaution le Vatican se la fabriqua aussi ; la Suisse en bourra ses montagnes. La C.G.T., à l’occasion du 1er Mai, en avait promené une douzaine de la Bastille à la Nation, les Petites et Moyennes Entreprises l’avaient aussi, ainsi que les Vignerons du Sud-Ouest, et Nogent et Pontoise, et l’Archevêché de Paris. Une grosse firme de lessive était en train de faire édifier des usines sur les quatre continents pour la produire à la chaîne et la vendre à tempérament.
C’était contre cela que manifestaient en même temps les femmes enceintes de tous les pays. Elles refusaient de donner naissance à des enfants dans un monde fou qui risquait de sauter d’un instant à l’autre. Si la Bombu n’était pas réduite à l’impuissance avant l’automne, elles menaçaient – celles qui seraient encore enceintes et celles qui le seraient devenues – de se faire avorter toutes ensemble le 1er octobre.
Après les vacances…
Mme Jonas aurait accouché avant. Elle défilait par solidarité et conviction mais, Bombu ou pas, JAMAIS elle ne se ferait avorter…