Jim était toujours étendu sur la moquette de sa chambre, le nez sur le Labrousse, à côté de sa feuille-ardoise couverte d’inscriptions. Jif s’agenouilla près de lui .
— Qu’est-ce que tu as copié ?
Il ne l’avait pas entendue venir. Il se tourna vers elle, exalté :
— La Surface !… Et au-dessus ! Tout ce qui est là-haut !… C’est plein de choses formidables ! Écoute !…
Il prit la feuille, se leva et lut :
— Soleil : Astre lumineux au centre des orbites de la Terre et des Planètes…
— Astre ? Qu’est-ce que c’est, un astre ?
— Astre : corps céleste lumineux…
Il leva la tête vers le plafond et appela :
— Monsieur Gé ?
— Oui, Jim…
— Quand je sortirai, est-ce que mon corps deviendra céleste lumineux ?
— Après ce qui s’est passé, ce n’est pas impossible… Mais ce n’est pas souhaitable !
— Oh ! si ! si ! si !…
Jim sauta à pieds joints sur son lit et bondit et rebondit jusqu’au plafond.
— Je deviendrai un astre et j’irai faire un enfant au Soleil !…
— Non ! cria Jif. Non ! Je ne veux pas !… Tous tes enfants sont pour moi.
Jim s’arrêta de trampoliner et regarda Jif, qui, debout, serrait ses petits poings, prête à combattre l’univers. Il demanda, étonné :
— Tous mes huit cents millions ?
— Oui ! Le soleil n’a qu’à se trouver quelqu’un d’autre ! Les tiens sont pour moi !
Il sauta à bas du lit. Il trouvait cette prétention exagérée.
— Ça tient pas debout ! J’en ai beaucoup trop pour toi toute seule ! Tu manges pas tous les poulets !
— Les poulets, ce n’est pas toi qui les fais ! C’est Sainte-Anna ! Sainte-Anna peut faire des enfants à qui elle veut mais pas toi ! Les tiens sont pour moi !
— Tu m’embêtes ! Mes 800 millions et 800 millions et 800 millions sont à moi ! Et je les mets où ça me fait plaisir !
— Non ! Je ne veux pas ! Je ne veux pas !…
Elle se mit à pleurer et se jeta à plat ventre sur le lit, le visage dans ses mains, sanglotante.
Jim était stupéfait. Il s’assit près d’elle, la toucha du bout des doigts. Elle se secoua pour qu’il retire sa main. Ce qu’il fit, comme si elle l’avait brûlé. Il ne comprenait pas.
— Pourquoi tu pleures pour un truc pareil ? Tu es idiote !… Allez, arrête de pleurer !…
Elle lui répondit quelque chose qu’il ne comprit pas. Elle avait le nez congestionné et la bouche dans l’oreiller. Il se pencha vers elle :
— Qu’est-ce que tu as dit ?… Allez, pleure plus…
Elle dégagea sa bouche et répéta avec colère :
— Alors, dis-moi que tu m’aimes !
— Quoi ?
— Dis-moi que tu m’aimes !
Elle s’était retournée, redressée, s’essuyait les yeux avec le drap fleuri, et le regardait avec un espoir brûlant. Lui réfléchissait, fronçait les sourcils.
— Que je t’aime ?
— Oui !… il haussa les épaules.
— J’aime le poulet !…
— Oh !… Tu es stupide !…
— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? J’aime le poulet ! Je ne peux pas dire que je n’aime pas le poulet !
— Et moi ! Tu ne m’aimes pas ?
Elle se leva, se planta devant lui, à deux pas, secoua ses cheveux de lumière :
— Regarde-moi… Tu n’es pas heureux, quand tu me regardes ?
— Oh… Si…
Elle dit d’une voix très douce :
— Viens… viens vers moi… il se leva lentement. Il se sentait maladroit, ses jambes étaient de plomb, son coeur battait. Quand il fut près d’elle elle lui prit la main. Elle chuchota :
— Tu sens comme ma main est chaude ?
— Tu transpires !
— Toi aussi… Dis-moi : «Je t’aime… »
— Je… Je… Je ne peux pas !
— Pourquoi ?
Il porta une main à son cou.
— Ça me fait une boule là… Ça ne peut pas passer…
— Ferme les yeux…
Elle ôta son soutien-gorge et se serra contre lui pour le toucher avec les pointes exquises de son corps. Alors il passa ses bras autour d’elle et la serra, poitrine contre poitrine, et, les yeux fermés, il sentit une joie immense le fondre en elle et elle en lai, ils n’étaient plus deux mais un seul, unique, léger, sans limites, rayonnant. C’était cela, peut-être, le corps céleste lumineux… Et les mots sortirent tout seuls de sa bouche, sans effort, sans question, il ne pouvait plus les retenir…
— Je t’aime… je t’aime, je t’aime…
Et longtemps, longtemps, longtemps après, ils étaient l’un contre l’autre étendus sur le lit, baignant dans un bonheur unique, et c’était elle qui avait les yeux fermés, sa tête blonde reposant sur l’épaule de Jim. Et lui, les yeux grands ouverts, regardait le plafond et, à travers le plafond, tout ce qui était, au-delà, là-haut…
Et il disait, doucement, lentement :
— Tous mes enfants sont pour toi… Rien que pour toi…
Incapable de parler, elle serra un peu sa main posée sur la cuisse de Jim, pour dire : « J’ai entendu, je sais… »
Et il continuait :
— Nous en ferons beaucoup, beaucoup… Et nous irons les planter partout… Dans le ciel et dans le Soleil et sur la Terre, partout…
Et elle serra encore un peu sa main pour dire « oui… oui… partout… où tu voudras… tout le temps… je t’aime… ».