M. Jonas ouvrit la porte de l’Atelier et s’effaça pour laisser entrer sa femme, qui portait l’oeuf à deux mains, avec la crainte horrible de le laisser tomber.
— C’est un oeuf de quoi, à ton idée ?
— De rien…, dit M. Jonas. Ou plutôt, de Sainte-Anna, puisque c’est elle qui l’a pondu…
— Drôle de poule, dit Mme Jonas.
«… tire-lire-lo ! » chantait Marguerite, qui continuait sa ronde.
Quand l’oeuf passa près d’elle dans les mains de Mme Jonas, un de ses yeux l’aperçut. Elle cessa brusquement de danser et de chanter.
— OEuf !
— Un oeuf !
— Crot, crot-crot, crot-crot-crot-croooot !…
Elle pointa ses quatre têtes vers l’objet pharamineux.
— Croot !…
— Je vais le couver !
— Donnez-le-moi !
— Couver !
— Couver !
— Couver !
— Couver !
Elle sortit ses pinces, et se précipita vers Mme Jonas, frrrr, frrrr, en roucoulant. Crot-crot- croooot !…
Mme Jonas recula, serrant l’oeuf contre sa poitrine, sans trop le serrer pourtant, dans le rempart de ses mains et de ses avant-bras.
— Henri ! Elle va le casser ! Elle est folle ! Arrête-la !
— Marguerite, dors ! ordonna M. Jonas.
— Je peux le couver en dormant ! Donne-le- moi !…
— Marguerite, dors !
— Je…
— Je peux…
— Je…
— Donne…
— DORS !
Les quatre têtes s’inclinèrent lentement au bout de leurs longs cous.
— Tiens-toi convenablement !
Les quatre cous se redressèrent et s’entortillèrent à la verticale, rassemblant leurs têtes en un bouquet de plumes jaunes, rouges, vertes, orange, noires, bleues, qui s’immobilisèrent en frémissant de frustration.
Il n’y eut pas d’autre incident, et Mme Jonas put faire cuire l’oeuf dans le creuset, par le gros bout d’abord, par le petit bout ensuite, car il n’y tenait pas tout entier.
Ils en mangèrent la moitié aussitôt, et l’autre moitié avant de se coucher. Les enfants trouvèrent cette nourriture bizarre mais acceptable. Les parents reconnurent avec émotion un goût oublié. Le jaune était très farineux, il fallut boire beaucoup d’eau pour le faire descendre. Le blanc était un peu élastique, mais délicat. « Avec quelques cuillerées de mayonnaise… » pensa M. Jonas. Bon, il ne faut pas y penser. En tout cas ça nourrit… Jif se sentait comblée. L’intérieur du milieu de son corps était bien plein et chaud…
— Tu devrais essayer d’en avoir un autre, dit Mme Jonas. Pendant que tout est tranquille…
M. Jonas hésita. Mais sa femme avait raison : il fallait savoir où on en était, si Sainte-Anna était redevenue normale ou non, et, dans ce cas, quelle surprise elle leur réservait.
Ce fut la pire.
M. Jonas appuya sur le Petit Bouton, le mur s’ouvrit et présenta un plateau. Le plateau était vide.