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Malfaiteurs

— Jabba, lança Vosa en contemplant l’hologramme, pourquoi ne suis-je pas surprise de vous trouver ici ?

L’holovid du Hutt perché au-dessus d’elle la fusillait de son regard mauvais. Les Gamorréens qui n’avaient pas suivi les prisonniers partis piller Engrenage Sept braquaient leurs blasters vers le Bando Gora, massé derrière elle.

— Komari Vosa, qu’est-ce que vous fabriquez ici, avec votre armée de larbins décérébrés ? gronda-t-il en hutt.

— Nous avons été convoqués ici.

Vosa indiqua le hangar d’un geste.

— J’imagine que vous allez nous laisser passer ?

Jabba poussa un juron dans sa langue.

— Vous imaginez très mal, espèce d’insecte. Je vous écraserai, comme l’infection puante que vous êtes !

— Vous essayerez.

Vosa détacha les deux sabres laser à poignée courbe qu’elle portait aux hanches et les activa simultanément, emplissant l’air d’une vibration tangible.

L’effet, même sur Jabba, fut immédiat et impressionnant. L’holo vacilla et, quand il se rétablit, le Hutt adressa un signe aux Gamorréens flanqués de chaque côté puis grommela un ordre impérieux :

— Dugway ! Keepuna !

Les Gamorréens ouvrirent le feu simultanément, mais Vosa fut plus rapide que leurs tirs, plus rapide que l’éclair. Elle adopta le Soresu et fit voltiger ses sabres laser devant elle. Leurs lames absorbèrent et dévièrent aisément les décharges de tous côtés.

L’issue de l’affrontement était facile à prévoir. Vosa bondit en avant, désarma d’un coup de sabre le Gamorréen le plus proche, lui décocha un coup de pied qui le projeta en arrière puis fit volte-face pour couper proprement en deux au niveau de la taille le Trandosien derrière elle. Pendant tout ce temps, son expression – concentrée, mais calme, presque détendue – ne laissait rien deviner ni de ce qui se passait dans son esprit ni du véritable objet de sa visite.

Tête baissée, les hommes du Bando Gora foncèrent sur la garde rapprochée de Jabba. Leurs bâtons embrasés projetaient des boules de feu verdâtres qui décrivaient des arcs et explosaient à la tête des Gamorréens stupéfaits. En quelques secondes, ils décimèrent tous les sbires du Hutt. Ils laissèrent leurs corps sans vie étendus sur le sol du hangar.

— Bon, fit Vosa en désactivant ses sabres et en s’approchant de l’holovid, maintenant que nous avons terminé les corvées, j’imagine que vous allez me laisser achever mon travail ?

— Vous vous battez bien pour une prostituée Jedi, décréta Jabba en levant les mains dans un simulacre de reddition. Je vois que vous n’avez rien perdu de vos compétences.

— Jedi ?

Vosa fronça les sourcils et son front fut traversé par une ride horizontale, comme si ce simple mot provoquait une douleur en elle.

— Ce nom est un blasphème pour moi.

Jabba ricana.

— Ah bon ? Et votre bien-aimé Maître Dooku ? Vous devez avoir un reste de chaleur pour lui dans votre cœur, après tout ce qu’il a fait pour vous, vous qui étiez sa Padawan ?

Vosa serra les lèvres et toute la confiance qu’elle exsudait encore quelques secondes plus tôt s’évanouit. La tension qui la remplaça donnait une forme angulaire à son visage et ses yeux jaunes lançaient des éclairs.

— Dooku ! Comment osez-vous prononcer de pareilles obscénités devant moi ?

Encouragé par sa réaction. Jabba continua sur sa lancée.

— Vous êtes-vous déjà demandé s’il avait encore des sentiments pour vous ? Si, avec le temps, il ne viendrait pas vous rejoindre pour diriger votre armée de…

— Ça suffit ! explosa Vosa d’une voix où la rage bouillonnait.

Elle bondit vers l’holovid en faisant tournoyer ses deux sabres laser. Les lames transpercèrent l’image de Jabba.

Le Hutt gloussa de plaisir.

— Vous ne manquez pas de ressources, Komari Vosa. Peut-être envisageriez-vous une alliance ?

— Le Bando Gora ne s’allie avec personne.

— Vous vous êtes associés avec Gardulla Besadii par le passé. Aidez-moi à me débarrasser d’elle et je vous laisserai peut-être quitter la prison vivante.

Vosa secoua la tête.

— Jamais.

— Stupide jusqu’au bout, observa le Hutt, imperturbable. Ne vous méprenez pas, minable déchet. Je vous exterminerai le moment venu. Mais pas cette fois, malheureusement.

— Jamais.

— Nous verrons.

Il agita la main en direction du quai d’amarrage d’où étaient sorties Vosa et son armée. Son image holovid se réinstalla confortablement sur la plate-forme à répulseurs avec un léger sourire victorieux. C’était l’expression suffisante d’un oncle retors qui accorde une faveur, mais songe déjà à la trahison qu’il s’apprête à commettre :

— Mes affaires ici sont terminées. Allez-vous-en.

Mais Vosa était déjà partie. Suivie par son armée, elle traversait le hangar avec fureur pour rejoindre les niveaux supérieurs. Elle marchait à grands pas, comme si elle était poursuivie par quelque chose qu’elle était seule à voir.

 

Et c’était le cas.

Enveloppée dans l’obscurité qui ne la quittait jamais, Vosa se déplaçait toujours avec une détermination et une vitesse insensibles à la faiblesse des émotions humaines. Dans le hangar, l’image holovid du Hutt avait réussi à l’atteindre, brièvement, mais douloureusement, en évoquant l’Ordre et celui dont le nom lui causait encore énormément de peine.

Vosa s’en voulait d’avoir réagi comme elle l’avait fait. Son instinct premier – enfouir cette douleur si profondément dans son inconscient qu’elle ne pourrait plus la toucher – n’avait pas fonctionné comme elle l’espérait.

Elle n’aurait plus dû ressentir une douleur pareille.

En arpentant les couloirs déserts d’Engrenage Sept, elle sentit sa résolution se fissurer.

Continue.

Oui, c’était la seule chose qui comptait. L’Ordre était mort à ses yeux désormais, il n’était plus qu’un vague souvenir qui s’effritait, comme son ancien Maître, son ennemi juré, qu’elle considérait désormais comme une abomination… même si le souvenir de son visage et des moments qu’ils avaient passés ensemble exerçait encore une emprise sur elle. Quand elle pensait au Jedi, Vosa sentait quelque chose bouger dans sa poitrine, un changement gravitationnel qui prenait le contrôle de ses émotions les plus basiques. Maudit soit le Hutt pour avoir mentionné son nom, pour avoir ramené ces pensées à la surface.

Il était trop tard pour s’arrêter. Avec une pointe de masochisme qui ne lui ressemblait pas, Vosa s’autorisa à penser au nom, à jouer avec, comme la pointe de la langue touche une dent infectée, rien qu’une fois – Dooku – avant de le chasser de son esprit.

Elle jeta un œil au capitaine qui la suivait, loyal à travers toutes les épreuves, et aux combattants masqués rassemblés derrière elle. Elle se rassura en se disant qu’elle avançait dans la bonne direction. Elle avait fondé une nouvelle alliance. De nouveaux serments avaient été prêtés dans le sang. Elle dirigeait une armée invincible de soldats prêts à donner leur vie pour elle.

Elle n’avait besoin de rien de plus.