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Hooligans

Quand le panneau du fond de sa cellule coulissa, Vasco Tête-de-Clou crut qu’il rêvait.

Contrairement à la plupart des détenus, il passait le plus clair de son temps seul dans sa cellule. Il avait séjourné presque toute sa vie dans différentes prisons de la galaxie : il n’avait plus envie de se mêler aux autres détenus. Son titre de chef des Rois des os lui offrait encore une aura de terreur, mais, depuis que Jagannath avait pris la tête des deux gangs, son titre n’était plus que symbolique.

Tout lui paraissait fade et dénué d’intérêt. Il mangeait encore de la chair, mais il n’en tirait plus le même plaisir qu’auparavant. Ces derniers temps, sa principale occupation consistait à broyer du noir en lisant le courrier envoyé par ses fans et les propositions de soutien. Il consacrait le reste de la journée à un sommeil peu satisfaisant. Il repensait de plus en plus souvent à sa planète natale, à sa famille et aux enfants qu’il avait laissés derrière lui. Même si les Rois des os lui avaient juré fidélité, Tête-de-Clou rêvait en secret que l’algorithme l’oblige à affronter un des membres de son clan, rien que pour changer.

Il rêvait de quitter Engrenage Sept, mais, comme tous les prisonniers, il savait que le seul moyen de sortir passait par le plancher.

Cette fois, quand les cliquetis et les grincements familiers de la reconfiguration retentirent et que la prison se mit à changer de forme, Tête-de-Clou crut s’être endormi et avoir raté l’appel du clairon. Il imaginait que le prochain match allait commencer sans qu’il s’en soit rendu compte. Cela lui arrivait de temps en temps. Il releva la tête et regarda autour de lui en se demandant s’il allait être sélectionné, peut-être pour affronter Jagannath en personne ? Si Tête-de-Clou parvenait à remporter ce combat, il retrouverait peut-être à la fois sa gloire perdue et le goût de vivre ? Quand ses idées s’éclaircirent, il réalisa que la porte de sa cellule était toujours ouverte et qu’il n’entendait pas le brouhaha habituel des détenus se préparant au confinement.

Que se passait-il ?

C’est à ce moment précis qu’un panneau dans son dos coulissa.

— Tête-de-Clou, fil une voix.

Un Noghri entra. C’était Strabo, son ennemi juré. Celui qui, jusqu’il y a peu, était le chef de Gravité massive. Il se tenait devant lui avec un air ébahi, comme s’il avait lui-même du mal à croire qu’il avait fait le déplacement.

— Qu’est-ce que tu veux ? grommela Tête-de-Clou.

Strabo ne répondit pas. Tête-de-Clou aperçut alors les autres. D’autres détenus étaient massés derrière le Noghri : un mélange hétéroclite de membres des Rois des os et de Gravité massive, côte à côte. Les premiers brandissaient des os customisés, affûtés et surmontés de pointes de métal. Les seconds étaient armés de flèches en câbles et d’un véritable arsenal de combat.

— On nous a libérés, expliqua Strabo.

— Hein ?

— Nos cellules ont été reconfigurées. On nous a ouvert un passage de sortie vers l’arrière.

— Pour quelle raison ?

Strabo haussa les épaules.

— Tu as vraiment envie de le savoir ? Tout ce que je sais, c’est que les choses étaient différentes avant. C’était peut-être pas génial, mais au moins, ça avait un sens, tu vois ce que je veux dire ? Avant que ce monstre à la peau rouge ne débarque et ne bouleverse tout…

— Hum, hum…, acquiesça Tête-de-Clou. Quand nous étions les chefs…, rumina-t-il. Alors, tu crois que…

— Peut-être que quelqu’un – je ne sais pas qui – a ouvert nos cellules pour que nous reprenions les choses en main.

— Tu as un plan ?

— J’ai une arme.

Strabo indiqua d’un geste du menton l’écoutille par laquelle ils étaient entrés.

— Et si on suivait le passage ? Pour voir où ça nous mène ?

— Ouais ?

— Y a pire comme activité pour tuer le temps, reprit Strabo.

Il lança un fémur aiguisé à Tête-de-Clou, qui l’attrapa en plein vol, même s’il ne réalisait toujours pas clairement ce qui était en train de se passer.

— Alors, qu’est-ce que t’en dis ? insista Strabo. On va faire un tour ?

Tête-de-Clou se leva, plaça les mains sur ses hanches, étira son dos et lui sourit.

— Ouais, ça me dit.

Côte à côte, les deux chefs rejoignirent l’écoutille, suivis par les autres. Bientôt, le cortège s’enfonça en silence entre les murs de la prison.