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Ce que disait la fièvre

Eogan faisait des tractions en se hissant à la barre la plus haute de sa cellule, quand les parois se mirent à bouger. Sa première pensée paniquée fut qu’il avait été sélectionné pour un match, que l’heure de sa mort était venue plus tôt encore qu’il ne l’avait redouté.

Non, je vous en prie, je ne suis pas prêt. Pas encore. Jamais.

La reconfiguration s’arrêta et rien ne se passa. Eogan fut pris d’un immense soulagement, immédiatement suivi par une vague de honte si puissante qu’il se jeta au sol. Il resta couché là sans bouger, maudissant sa lâcheté. Qu’est-ce que son père aurait pensé de lui s’il l’avait vu baisser la tête et implorer n’importe quel dieu prêt à l’écouter, dans le seul but d’éviter le combat, maintenant et toujours ?

— Eogan ?

Il redressa la tête en reconnaissant la voix et regarda autour de lui. Jagannath tenait dans ses bras un paquet qui ressemblait à du linge sale. Il fallut un moment à Eogan pour réaliser qu’il s’agissait en réalité d’un humain : son père.

— Père ?

Il lança un regard accusateur au Zabrak.

— Que lui avez-vous fait ?

— Rien, je l’ai trouvé dans cet état.

Artagan Truax examina son fils de son regard vitreux. Sa peau avait pris la couleur d’un vieux flimsiplast, si pâle qu’on apercevait le tracé bleu de ses veines sur ses joues et sur l’arête de son nez. Eogan observa le moignon gonflé qui remplaçait la jambe. Il sentit la chaleur irradier du visage et l’odeur infecte dégagée par les tissus infectés. Il sut ce que cela signifiait avant même que le Zabrak n’ouvre la bouche.

— Il est en train de mourir.

Jagannath hocha la tête.

— Il a contracté une septicémie à cause de sa blessure.

Il déposa le vieil homme sur la couchette.

— Il refuse de me parler. Il faut que tu lui poses des questions au sujet d’Iram Radique et du Bando Gora.

Eogan secoua la tête.

— Je ne sais pas ce…

— Écoute-moi bien, mon garçon. Le temps des excuses et des prétextes est révolu. J’ai vu Iram Radique de mes propres yeux. Il faut que je sache tout ce que ton père peut nous apprendre sur les liens qui unissent Radique et le Bando Gora. Ils vont mettre la main sur l’arme la plus destructrice de Radique, une arme nucléaire interdite. C’est ma mission.

— Je n’ai jamais entendu parler du Bando…

— C’est une secte extrêmement dangereuse. Ton père m’a dit qu’il s’était battu à leurs côtés, qu’ils avaient essayé de tuer Iram Radique et que ton père lui avait sauvé la vie.

— Mon père ne collaborerait jamais avec une secte. Il ne sait pas ce qu’il…

— Gora ! hurla le vieux, le visage déformé par la terreur.

Ses mains se dressèrent et fendirent l’air.

— Gloire au crâne sous le capuchon ! Écorchez la chair et buvez le sang !

Abasourdi, Eogan recula d’un pas.

— Je ne l’ai jamais entendu parler ainsi.

— Il faut que j’apprenne ce qu’il sait. J’ai une transaction urgente à conclure avec eux et Radique. S’il peut te dire comment les contacter…

— Non !

Le vieil homme se redressa d’un bond, saisit son fils par l’épaule et le tira vers lui. Il semblait soudain lucide, ses pupilles étaient focalisées sur Eogan.

— Iram Radique ne fera jamais affaire avec le Gora. Jamais.

— Demande-lui comment contacter le Gora, ordonna le Zabrak à Eogan. Fais-le parler.

— Je… je ferai de mon mieux. Mais il y a un match bientôt. Si jamais je dois me battre ?

Le Zabrak le fusilla du regard.

— Tu mourras.

Eogan ouvrit la bouche et la referma. Il ne semblait pas y avoir de réponse appropriée, il n’essaya donc pas d’en donner une.

— Tout ceci, reprit le Zabrak, tout ce que tu vois autour de toi est un test. Tu n’as pas droit à l’erreur. Si tu manques de force ou d’instinct de survie. Engrenage Sept te cassera.

Il se rapprocha.

— Ton père était assez fort pour survivre et te protéger, mais tu n’as pas sa puissance. Même dans l’état où il est en ce moment, tu ne lui arrives pas à la cheville.

Il indiqua d’un signe de tête le vieil homme sur la couchette.

— Maintenant, rends-toi utile et fais-le parler.

Eogan ne répondit rien. Sa mâchoire tremblait.

— Père, c’est moi. C’est Eogan.

Il jeta un œil au Zabrak et ajouta avec douceur :

— Il faut que tu nous parles d’Iram Radique.

Le vieux battit des paupières. Toute sa force sembla le quitter d’un coup, sa bouche s’ouvrit et son visage s’affaissa. Pendant un instant horrible, Eogan crut qu’il était mort. Puis il vit sa poitrine se soulever et s’abaisser. Cette respiration faible fut suivie de quelques mots brefs, à peine cohérents.

Jagannath se tourna vers Eogan.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il a dit ?

— Zéro.

— Zéro ? Et alors ?

Eogan plissa le front, posa le regard sur son père, puis sur Jagannath, en clignant des yeux d’un air perdu.

— Il dit… qu’il porte un autre nom.