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L’homme se ravise

Maul observa Radique sans rien dire. Après l’avoir cherché si longtemps, le voir là, à deux mètres à peine, semblait aussi irréel qu’un rêve.

Radique était de grande taille, avait la peau bleue, les cheveux noirs brillants et les yeux carmin. Il portait une robe noire, des gants et des bottes de la même couleur, en peau de serpent épaisse et lustrée. Son visage était mince et glacial, comme s’il avait été taillé dans un bloc d’acier vardium. Ses yeux fixaient Maul et ses lèvres affichaient une arrogance qui témoignait de milliers d’adversaires vaincus et de centaines de tentatives d’assassinat déjouées.

Les faucons griffus s’étaient posés autour de lui, à ses pieds.

— Je vois que vous avez trouvé mes animaux de compagnie. Ou qu’ils vous ont trouvé.

— Vous le saviez. Vous les avez envoyés me chercher.

— Peut-être.

— Nous devons partir. Le Bando Gora est déjà ici.

Le visage de Radique se tendit, laissant apercevoir un éclair de douleur.

— Le Gora. Vous avez commis une grave erreur en amenant cette racaille ici.

Il posa le regard sur Eogan.

— Le père du garçon l’a déjà payé de sa vie. Maintenant, vous allez devoir renoncer à la vôtre à cause d’eux.

Maul ne cilla pas.

— Vous ne me croyez pas ? Ou vous ne croyez pas en mon pouvoir ?

— Aucun des deux, répliqua Maul en s’avançant vers lui. Je n’ai tout simplement pas eu le choix. Et vous non plus.

Il balaya l’armurerie du regard. Les détenus sans yeux qui travaillaient ici étaient moitié moins nombreux que la dernière fois. Ceux qui restaient étaient assis devant des armes partiellement assemblées et se cramponnaient si fort à la table que les jointures de leurs mains étaient blanches.

Les hommes de Radique l’avaient-ils abandonné ? Avaient-ils pris la fuite au dernier moment ? Ou une mutinerie plus grave était-elle en cours ?

— Vous vous trompez, rétorqua Radique.

Maul se replongea dans ses yeux carmin. Pendant longtemps, aucun des deux ne dit rien, jusqu’à ce que la prison soit secouée d’un violent soubresaut électrisant, assez puissant pour déplacer les étagères et les rangées de caisses fixées aux murs. Radique ne quitta pas Maul des yeux.

— La fin est proche. Si nous n’agissons pas maintenant, nous mourrons tous ici.

— Nous mourrons de toute façon.

Radique pointa un doigt sur la poitrine de Maul.

— Vous avez toujours une charge explosive dans votre cœur, Jagannath, ne l’oubliez pas. Et vous n’avez plus beaucoup de temps.

Il indiqua d’un mouvement du menton le sol devant l’espace de travail. Maul comprit enfin où étaient passés les autres détenus. Ils gisaient morts, sous la table, leurs orbites vides à jamais béantes.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Si je devais émettre une hypothèse, je dirais que la directrice, Sadiki, a lancé l’initiative Oméga. C’est une routine imparable qui déclenche automatiquement les charges électrostatiques dans le cœur des détenus.

— Y compris la vôtre ?

Radique esquissa un sourire très discret.

— Eh bien, disons que j’ai une dispense spéciale.

— Attendez, intervint Eogan, vous voulez dire que…

Il regarda tour à tour Maul, puis Radique et demanda d’une voix haut perchée :

— Combien de temps avons-nous ?

— Ça dépend du matricule. Les numéros plus bas y passent les premiers. Votre tour viendra, j’en suis sûr.

— Alors, nous n’avons pas de temps à perdre, conclut Maul. Vous avez quelque part dans votre armurerie une arme nucléaire proscrite. Vous allez m’aider à la livrer au Bando Gora. C’est tout.

La pièce fut à nouveau secouée, plus fort cette fois. Le tas de cadavres aux yeux crevés bougea, comme si les morts étaient agités de spasmes.

— Pourquoi trahirais-je un serment que j’ai prêté à vie ? J’ai juré de ne jamais faire affaire avec la secte d’assassins qui a tenté de me tuer.

Sans répondre, Maul s’approcha d’une table sur laquelle était posée une caisse ouverte, à moitié remplie des sabres laser synthétiques de Radique. Maul plongea la main dedans, en saisit un, ouvrit la poignée et en sortit le cristal.

— Garçon, ordonna-t-il, ouvre le paquet.

Eogan cligna des yeux puis s’agenouilla à côté du colis qu’ils avaient ramené de la baie de chargement. Il retira la protection extérieure et découvrit une console oblongue, qu’il posa sur le sol. Le compresseur était lisse et uniforme, à l’exception d’un petit dôme transparent situé à son sommet.

— Vous reconnaissez le nouveau compresseur géologique. Vous espériez son arrivée, vous aviez envoyé Slipher le chercher.

Sans attendre la réaction de Radique, Maul souleva le couvercle et laissa tomber le synthécristal à l’intérieur.

Il ferma les paupières et plaça les deux mains sur le compresseur. Il laissa le pouvoir du Côté Obscur l’envahir tandis que la console se réchauffait sous ses paumes. Il sentait le cristal changer à l’intérieur, ses atomes se déplacer, sa structure se resserrer pour former de nouvelles molécules et, sous la pression de la Force, devenir quelque chose de complètement différent.

Maul rouvrit le compresseur, en sortit le cristal et l’examina. Il n’était plus le même – il était plus sombre, plus lourd. Ses facettes brillaient d’un rouge foncé.

Maul le glissa dans le sabre laser, assembla les composants et activa l’arme.

Le faisceau prit vie dans sa main et emplit l’armurerie de ce bourdonnement familier qu’il aurait pu reconnaître dans son sommeil. La lame était solide, droite, bien réelle. Maul sentait son pouvoir vibrer à travers les os de son avant-bras, comme une extension naturelle de sa propre force innée.

Il étendit le bras et laissa Radique examiner le sabre. Le visage bleuté du trafiquant d’armes avait changé de couleur sous la lueur du faisceau.

— Remarquable, murmura-t-il.

— Je peux vous montrer comment faire. Mais d’abord, il faut que le dispositif nucléaire soit livré. Et que les explosifs implantés dans ma poitrine soient désactivés. Le droïde de l’infirmerie peut s’en charger.

— Qu’est-ce qui vous fait croire que…

— Nous n’avons pas le temps de discuter. Marché conclu ou non ?

Radique le regarda. La pièce fut à nouveau secouée et Maul remarqua que plusieurs détenus s’étaient écroulés, rejoignant la pile de cadavres.

Il tendit la main.

Maul éteignit le sabre laser et le plaça dans la paume de Radique.

— L’engin nucléaire est dans ce caisson, fit-il en indiquant d’un geste une grosse caisse fixée au mur au fond de l’armurerie. Là-bas, au bout.

Il n’avait pas quitté des yeux le sabre laser dans sa main.

— Allez, viens, garçon, fit Maul en lui montrant la caisse. Nous n’avons pas beaucoup de temps.

— Attendez ! Et les charges électrostatiques dans nos cœurs ? l’interrogea Eogan.

— Nous ferons un détour par l’infirmerie, lui assura Maul en fixant l’homme aux yeux carmin. M. Radique s’arrangera pour que le droïde soit prêt à nous accueillir.

— Comment savons-nous…

— C’est dans son intérêt. Si je suis mort, je ne pourrai pas lui expliquer comment fabriquer un sabre laser qui fonctionne.

Sans attendre que Radique confirme ses dires, Maul s’approcha de la caisse et la détacha. Elle était chaude et bourdonnait légèrement.

— Je t’attends, garçon.

Eogan souleva à regret son côté et, ensemble, ils portèrent la caisse hors de l’armurerie. Un des faucons griffus de Radique s’envola pour leur ouvrir le chemin et ils le suivirent dans le dédale qui menait aux niveaux supérieurs de la prison.

Bien vite, leur chemin se retrouva jonché de cadavres.