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En direct du grand froid
Maul arriva dans sa cellule avec quelques secondes d’avance. L’écoutille se referma dans son dos avec un claquement et les verrous magnétiques glissèrent avec un bruit sourd. Le panneau de voyants jaunes se mit à virer au rouge. La cellule changeait déjà de place. Le sol s’inclinait sous ses pieds, des plaques murales glissaient dans un grincement d’alliage qui lui semblait familier. Elles se resserraient pour se fondre avec le plafond.
Il respira lentement et prit un moment pour réfléchir à ce qui venait de se passer. Rien n’avait de sens, même s’il ne s’attendait pas à ce que ça en ait.
L’embuscade qu’il avait tendue dans le conduit de ventilation avait fonctionné comme il l’espérait… jusqu’à un certain point, du moins. Il s’attendait à tomber dans un piège et, en cela, le gardien ne l’avait pas déçu. Un homme comme Iram Radique n’avait pas survécu aussi longtemps sans amasser une armée de larbins et de guetteurs, tant parmi les détenus que les gardiens, pour envoyer sur de fausses pistes ceux qui le cherchaient. Zéro travaillait-il pour Radique ? Les choses pouvaient-elles être aussi simples ?
Il y avait aussi la question plus pressante de savoir pourquoi il n’avait pas été tué quand le garde avait activé les charges implantées dans son cœur. Le Côté Obscur était-il intervenu à la dernière seconde pour le sauver ?
Cette éventualité lui coupa le souffle. Malgré tous les discours de Dark Sidious au sujet de son rôle d’Apprenti et du jour où il prendrait la succession, Maul se sentait encore éloigné des plans du Sith pour dominer la galaxie et du rôle qu’il aurait à y jouer. Sur ordre du Seigneur Noir, il avait passé des années à s’entraîner sur Orsis puis sur Coruscant, dans la Tour de LiMerge, il avait enduré des années de privation et s’était astreint à la plus redoutable des disciplines en attendant les visites de son Maître. C’était vrai : Sidious avait longuement évoqué le Côté Obscur et son pouvoir, avait parlé en termes plus vagues du rôle que Maul jouerait en poursuivant son étude des arts Sith. Mais Maul en avait eu le tournis. Dans ses moments les plus solitaires, il avait osé espérer le jour où la Force se manifesterait pleinement en lui, interviendrait d’une façon qui lui indiquerait que c’était son destin.
Ce jour était-il enfin venu ?
Si c’était vrai…
Il y eut une secousse brutale et tout fut projeté en avant. Maul s’agrippa aux poignées de chaque côté du liane et se prépara mentalement. Il sentit monter la pression hydrostatique dans son visage et dans son cou quand la cellule se retourna sur elle-même, puis pivota sur le côté, d’abord à gauche, puis à droite. La cellule bascula encore à gauche, puis en avant et encore à droite. Maul perdit tout sens de l’équilibre et resserra son emprise.
Après un dernier soubresaut, la pièce s’immobilisa avec un bruit de métal cogné. Une écoutille hydraulique s’ouvrit dans un des murs avec un sifflement, tandis que celle devant lui restait fermée.
Il entendit un grognement asthmatique monter de la cellule voisine.
Il ferma les yeux et tendit l’oreille. Ce qui se trouvait de l’autre côté de l’écoutille semblait plus gros et plus affamé que la créature qu’il avait combattue la première fois. Le grondement paraissait provenir d’une cage thoracique énorme. L’air semblait vibrer. Maul se surprit à étendre ses sens dans la Force et s’obligea à s’arrêter. Les paroles de son Maître lors de leur dernière rencontre sur Coruscant résonnaient dans ses oreilles.
Si jamais tu révèles ta véritable identité de Seigneur Sith, avait dit Sidious, toute la mission sera un échec, tu comprends ? Tu ne dois jamais recourir à la Force, quelles que soient les circonstances ou tout sera perdu. Est-ce que tu saisis l’ampleur de la responsabilité qui t’est confiée ?
Maul ne le comprenait que trop bien.
Il resta parfaitement immobile, à écouter, concentré sur l’instant. Quand le grognement reprit, il avait gagné en volume et en intensité. C’était maintenant un vrombissement enragé. Des chaînes métalliques cliquetèrent, traînées sur le sol. Puis quelque chose cogna contre le mur avec un vacarme aussi assourdissant que soudain. Il y eut un nouveau grondement, plus fort encore, qu’il sentit jusque dans le creux de sa poitrine. Il comprit que la créature avait détecté sa présence. Ce ne serait plus très long.
Les lumières clignotantes passèrent au rouge.
Et l’écoutille s’ouvrit.
Maul resta immobile longtemps, à l’observer.
Le wampa était enchaîné, relié au sol par de lourdes menottes en nylacier qui enserraient ses quatre pattes et sa gorge. Il mesurait près de trois mètres de haut et sa fourrure était maculée de crasse, de graisse et de sang. Une de ses cornes était cassée en deux, formant une sorte de poignard affûté couleur ocre qui ne s’incurvait qu’à moitié sur le côté droit de sa tête. Tout le long de son abdomen et de sa poitrine, de grandes bandes de sa fourrure blanche avaient été arrachées, laissant un paysage de cicatrices, sans doute les séquelles de combats précédents. Le monstre écarta les lèvres pour exhiber deux rangées de dents aiguisées comme des lames de rasoir. Des postillons volèrent dans tous les sens quand il lâcha un hurlement affamé, frustré et enragé en tirant sur ses chaînes.
Maul ne bougea pas. Il se donna quelques secondes pour évaluer l’espace où ils s’affronteraient – la hauteur du plafond, le diamètre de la cellule – avant de reporter son attention sur la créature et de la fixer droit dans ses yeux jaunes.
Allez, viens.
Comme s’il entendait les pensées de Maul, le wampa se pencha, rassembla ses forces et les menottes tombèrent à cet instant précis. Maul ne les entendit même pas toucher le sol.
Le monstre se jeta sur lui.
Maul sauta en l’air et parvint à éviter l’attaque initiale, mais l’énorme patte avant de la créature fendit l’air sur son passage et ses griffes lui lacérèrent le dos. Elles s’enfoncèrent si profondément dans sa peau qu’elles atteignirent les muscles et raclèrent sa colonne vertébrale. Maul sentit l’air quitter ses poumons. Une sensation brûlante et cruelle – il refusait de la qualifier de douleur – s’empara de l’arrière de son corps et s’insinua au plus profond de ses terminaisons nerveuses. L’odeur cuivrée de son sang emplit la cellule.
Il s’accroupit pour s’élancer vers le plafond et sentit le liquide chaud éclabousser sa jambe avant de tacher le sol sous ses pieds. Il dérapa dans la flaque et alla se cogner contre le mur devant lui. La cellule était-elle plus petite qu’un instant plus tôt ? Avaient-ils déjà changé sa forme ?
Maul prit une inspiration et se ressaisit. Les choses allaient trop vite. Il fallait qu’il parvienne à les ralentir. Mais le wampa revenait à la charge en balançant ses longues pattes, toutes griffes dehors. La créature l’expédia contre la paroi d’acier incurvée, tandis que sa mâchoire se refermait à quelques centimètres de son visage. Le Zabrak se fit glisser sur la flaque de sang, roula et bondit dans le dos du monstre avant qu’il ne se retourne. Maul plia un bras, raidit son épaule et envoya son coude à la base du crâne du wampa, en concentrant toute sa force dans un coup qui aurait dû lui briser la nuque.
Rien.
C’était comme s’il s’attaquait à un roc recouvert de fourrure. La bête se retourna vers lui, les pattes avant dressées. On aurait dit qu’elle emplissait tout l’espace. Cette fois, elle poussa un rugissement, qui ressemblait à un cri – cassé, asthmatique –, comme si quelqu’un torturait le wampa pour le forcer à attaquer Maul. Tout à coup, le Zabrak eut un éclair de lucidité.
Quelque chose clochait. Il n’était pas…
Les griffes de la créature l’atteignirent en plein visage, le lacérant en diagonale.
L’instant de lucidité céda la place à une bouffée de colère. Maul baissa la tête, se concentra et entendit un nouveau grondement s’élever : cette fois, c’était le sien, qui émanait des profondeurs primitives de son être. Il s’ouvrit à ce grondement, laissa le venin de sa rage prendre le contrôle. Sa fureur était rapide, puissante et racée. La bataille ne durerait plus très longtemps. Ignorant la chaleur qui lui brûlait la joue et l’arête de son nez, comme il avait ignoré l’étrange clairvoyance qui l’avait précédée, il s’accroupit et laissa la wampa venir à lui.
Sa prochaine attaque serait la dernière.
Maul fonça sur lui et enfonça sa tête cornue dans la mâchoire inférieure du monstre, lui pulvérisant les mandibules et enfonçant les fragments d’os aiguisés comme des aiguilles dans sa voûte crânienne. Il comprit intuitivement qu’il venait de porter un coup mortel.
Mais quand il releva la tête, le wampa était à nouveau debout et avançait vers lui en hurlant, gémissant comme un colosse aveugle. Le coup avait transformé la tête de la créature en une masse informe de sang et d’os. À la colère bouillonnante de Maul s’ajouta une vague d’incrédulité.
Comment le wampa pouvait-il encore se battre ?
Défiant toute logique, la bête se jeta sur lui, toutes dents et griffes dehors. Maul cala fermement ses pieds contre le mur derrière lui et agrippa la créature par sa corne intacte. Rassemblant toutes ses forces, il tordit la tête du monstre sur le côté. Il essaya de la lui arracher et réalisa à la dernière seconde qu’il ne pouvait pas maîtriser le wampa. L’animal était bien plus résistant que ce qu’il avait imaginé.
Le wampa revint à la charge et plongea les crocs dans l’épaule de Maul, touchant des faisceaux nerveux cruciaux. Le Zabrak perdit toute force dans sa main et son poignet. Son corps le trahissait au pire moment. Ses bras retombèrent mollement et il tituba en arrière, les yeux rivés sur son adversaire. Une obscurité qu’il n’avait jamais connue envahissait sa vision périphérique et s’épaississait à chaque instant. Pour la première fois, il envisagea l’impossible : la perspective de perdre.
Il releva la tête et essuya le sang de ses yeux.
Regarde-le, disait une voix qui s’élevait des profondeurs de son être. Ce n’était pas celle de Sidious, c’était l’instinct de survie, plus ancien encore que son écolage auprès de son Maître. Ne vois-tu pas ?
Maul regarda. Quelque chose clochait chez le wampa, quelque chose ne tournait pas rond, au-delà de la prédisposition génétique de l’animal pour la violence et son passé de prédateur. Dès qu’il le comprit, il sut comment l’éliminer.
Il fit appel à ce qui lui restait d’énergie et se lança sur la bête. Il forma des sortes de griffes avec ses mains et les plongea dans la fourrure pour lui déchirer le torse. Le wampa hurla et geignit. Maul l’entendit à peine. Il enfonça ses bras jusqu’au coude, à travers les côtes, dans sa cavité thoracique. Il fouilla pour trouver ce qu’il cherchait : son cœur battant et visqueux.
Maul le saisit, l’entoura de ses doigts et serra.
L’organe éclata comme un fruit dense et fibreux. L’animal tomba immédiatement en arrière sans grâce et s’affala contre le mur avec un faible gémissement, comme s’il était enfin libéré de toute contrainte.
Maul lécha le sang qu’il avait sur les dents et cracha par terre. Il tituba, essaya de reprendre l’équilibre et échoua. Il était à bout de forces. Sa fatigue était comme une toile épaisse et misérable qui rendait le moindre mouvement difficile. Il avait perdu beaucoup de sang. L’obscurité revint et, cette fois, il sut qu’il ne pourrait pas la repousser.
La dernière chose qu’il vit fut sa cellule qui changeait de forme et commençait à s’élever.
Puis le noir complet.