51
Salle des coffres
Le trajet ne prit que quelques minutes, même si dans l’esprit de Maul, il sembla durer beaucoup plus longtemps. Le Zabrak prit place à côté de Vesto Slipher dans le turbo-ascenseur. Ils regardaient tous deux droit devant eux sans parler. Il s’était passé tant de choses en si peu de temps que Maul avait besoin de récapituler.
La révélation de la véritable identité de Zéro avait été une surprise pour tout le monde, y compris pour Radique. Pourtant, en un sens, elle était parfaitement logique. En tant que Zéro, Dakarai pouvait aider le trafiquant d’armes à coordonner les livraisons, tout en surveillant la population carcérale et en programmant l’algorithme qui gérait les matchs. Cacher la vérité à ses deux partenaires lui avait sans doute donné l’impression de mener la double vie parfaite. Son erreur avait été de croire qu’il pouvait tromper tout le monde indéfiniment.
Et Radique…
Maul ne pouvait s’empêcher de repenser à cette voix, à son mystérieux pouvoir. Il revit le moment où elle s’était exprimée et la façon dont tous les prisonniers aveugles – des rangées de détenus qui avaient accepté de perdre la vue pour le servir – avaient tourné le visage vers le plafond, comme si cette voix représentait leur salut.
Il se demanda si Radique était humain ou tout autre chose.
Le turbo-ascenseur continuait à monter.
— Qu’y a-t-il dans la cale ? finit par demander Maul.
Slipher regardait toujours droit devant lui.
— M. Radique attend un nouveau compresseur géologique avec la livraison d’aujourd’hui, répondit-il d’un ton peu assuré. Je me suis arrangé pour qu’un droïde de levage binaire le réceptionne et me le garde ici.
— Si je comprends bien, il savait que ses sabres laser n’étaient pas au point ?
— J’imagine que oui. Il semble tout savoir. Enfin, ajouta-t-il après un instant de réflexion, presque tout.
— Depuis combien de temps travaillez-vous pour lui ?
— Travailler pour Radique ?
Slipher émit un curieux ricanement, qui ressemblait au rire nerveux d’un condamné à mort.
— Techniquement, je ne travaille pas pour lui. Je suis venu sur Engrenage Sept comme employé du CBI et je représente aussi d’autres intérêts.
Il tira sur son col et déglutit bruyamment.
— En quelque sorte, j’ai été recruté de façon inattendue par M. Radique pendant mon séjour. On dirait que c’est ainsi que ça fonctionne.
— Que quoi fonctionne ?
— L’empire de Radique. Les gens se retrouvent à servir ses objectifs, sans s’en rendre compte.
Maul grommela. Les lumières intérieures de la cabine vacillèrent et s’éteignirent quelques secondes. L’objet que Slipher tenait en main – un gadget qu’il appelait la Sorcière bleue – projetait une étrange lueur bleuâtre sur leurs visages.
Maul y jeta un œil blasé. D’après le banquier, l’appareil les rendait invisibles à toute forme de surveillance à l’intérieur d’Engrenage Sept. Ils s’en étaient servis dans l’armurerie de Radique, sans que Maul sache pendant combien de temps. Ce gadget était particulièrement utile dans un lieu où les murs étaient truffés de caméras.
— Nous nous retrouvons tous deux dans la même situation désagréable, poursuivit le Muun. Nous sommes des serviteurs obéissants envoyés en mission sur cette décharge flottante et nous n’avons pas le droit de quitter les lieux avant d’avoir fourni à nos maîtres l’information qu’ils exigent.
Il poussa un soupir mélancolique.
— Je pourrais tout aussi bien avoir un numéro de détenu.
— Vous ignorez tout de ma mission, rectifia Maul.
Slipher le regarda en levant un sourcil.
— Je sais que vous représentez le Bando Gora. Vous essayez de vous procurer une arme de destruction massive, que vous voulez mettre entre leurs mains.
Il lui jeta un nouveau regard en coin.
— Ai-je bien résumé la situation ?
Maul ne répondit pas. Il envisagea un moment de tuer ce ploutocrate geignard, dans le turbo-ascenseur, de lui voler la Sorcière bleue et de trouver lui-même le droïde de levage. Qu’est-ce que Slipher apportait à sa mission, si ce n’est le risque, bien réel, d’une trahison ?
— L’argent est le nerf de la guerre. Ceux qui gèrent ses flux se retrouvent inévitablement à la confluence des secrets les mieux gardés de la galaxie. Même l’information la plus confidentielle finit par arriver jusqu’à nous, comme une arrière-pensée.
— Est-ce qu’il vous arrive de vous taire ?
Slipher ne sembla que légèrement vexé.
— Je vous expliquais simplement comment je me suis retrouvé dans cette position.
Maul gardait les bras le long du corps, mais ses poings étaient serrés. Des visions de Slipher gisant, la nuque brisée, se formaient dans son esprit.
— Votre situation est sans espoir, vous savez, reprit Slipher. Même si vous parveniez à les faire venir ici, Radique ne collaborera jamais avec le Bando Gora.
— Nous verrons.
— Vous savez que Komari Vosa est à la tête du Gora à présent ?
Il inclina légèrement le menton et leva la Sorcière bleue qu’il tenait en main.
— Vous connaissez le passé de Vosa ?
— C’est une fripouille des bas-fonds, comme tous les autres. La galaxie en regorge.
— Pas tout à fait. Vosa est la plus grande prêtresse du culte. On m’a dit qu’elle défendait une citadelle fortifiée sur Kohlma. Elle dirige une armée entière d’agents et d’assassins en utilisant des narcotiques et des techniques avancées de contrôle de l’esprit.
Il ajouta, comme si cette pensée lui venait subitement :
— Et elle est extrêmement dangereuse avec un sabre laser.
Maul dissimula à peine sa surprise.
— Quoi ?
— C’est une ancienne Jedi, expliqua Slipher d’un ton détaché. J’imagine qu’étant donné votre parcours, je ne vous apprends rien.
Maul ne répondit pas tout de suite. Il serra les poings plus fort, jusqu’à ce qu’ils tremblent.
— Que savez-vous d’autre sur elle ?
— Sur qui, Vosa ?
Le Muun feignit l’innocence.
— Oh, bien peu de choses, je le crains. Son agressivité, qui frôle la psychopathie, l’a apparemment empêchée de devenir un véritable Chevalier Jedi. Elle a intégré un groupe d’intervention Jedi chargé d’arrêter les activités du Bando Gora sur Baltizaar.
Son expression s’assombrit.
— Malheureusement, la mission a tourné à la catastrophe. La secte a enlevé Vosa et l’a emmenée sur la lune sanctuaire de Kohlma. Ce qui s’est passé ensuite…
Le Muun haussa les épaules de manière théâtrale.
— On raconte qu’ils l’ont torturée jusqu’à ce qu’elle soit à deux doigts de sombrer dans la folie, c’est à ce moment-là qu’elle a embrassé le Côté Obscur de la Force, qu’elle a massacré ceux qui l’avaient enlevée et pris la tête du Bando Gora.
Slipher jeta un œil en direction de Maul avant de conclure :
— Elle a commencé sa carrière comme Jedi, est-ce que ça a une importance ?
Maul ne fit aucun commentaire.
Le turbo-ascenseur s’arrêta enfin.
S’ils attendent pour nous arrêter pensa Maul, c’est ici que ça se passera.
Mais quand les portes coulissèrent pour révéler le hangar d’Engrenage Sept, il n’y avait ni gardien pour les emmener ni hommes armés en embuscade. La seule activité dans le hangar venait d’un petit groupe de techniciens au sol, trop occupés à déplacer des tas de palettes et de plates-formes pour faire attention à eux.
— Détendez-vous, les techniciens ne sont pas armés. Et ils ne sont pas équipés de boîtiers, ils ne peuvent pas faire exploser les charges placées dans votre cœur.
— Je n’étais pas inquiet.
Ils pénétrèrent dans le hangar. L’espace immense était jonché çà et là de déchets d’emballage et de caisses de transport vides qui attendaient de repartir par le premier vol. Maul aperçut au fond le droïde de levage binaire dont Slipher avait parlé, même si sa mission était loin d’occuper ses pensées.
C’est une ancienne Jedi.
Pourquoi son Maître n’avait-il pas pensé à l’en informer ? Lui avait-il caché cette information parce que cela faisait partie de l’immense défi qu’il était venu affronter ici ?
L’idée que sa mission sur Engrenage Sept aurait comme point d’orgue une confrontation avec une Jedi, même si ses pouvoirs avaient été corrompus par une vie consacrée au crime organisé et à la direction d’une secte, plongeait Maul dans une sombre amertume. Ce n’est pas Vesto Slipher que Komari Vosa affrontera quand elle arrivera ici avec le Bando Gora, conclut Maul. Son Maître comptait certainement sur lui pour éliminer personnellement cette ordure de Jedi.
Était-ce enfin la véritable épreuve ?
Toujours bouillonnant de colère, il progressa rapidement à travers le hangar, passant d’un coin d’ombre à un autre sans se préoccuper du Muun.
— Qu’est-ce que vous faites ? siffla Slipher entre ses dents, cherchant à suivre son rythme. Vous devez rester avec moi !
— Ça fait trop longtemps que je n’ai plus tué. Faites attention ou vous pourriez être ma prochaine victime.
— Ne vous faites pas passer pour plus dingue que vous n’êtes. Notre mission exige de la discrétion et ma participation active, vous le savez parfaitement.
Maul le fit taire d’un regard menaçant, mais ne s’arrêta pas là. Pendant un très bref instant, il s’autorisa à invoquer la Force. Smight tituba et ouvrit la bouche juste assez pour émettre un râle guttural, surpris par la pression invisible qui lui serrait le cou et la poitrine. Il étouffait en cherchant à reprendre son souffle.
Maul jugea l’expression de choc et de panique sur le visage du banquier peu satisfaisante. Il maintint encore la pression une fraction de seconde, pour profiter des yeux exorbités du Muun. Puis il se pencha vers lui et murmura :
— Komari Vosa n’est pas la seule à disposer des capacités dont vous avez parlé. Vous feriez bien de vous en souvenir.
— Qu… Quoi ?
Le visage de Slipher trahissait son désarroi.
— Vous… ?
Maul serra plus fort. Peut-être était-ce la mention explicite de la Jedi ou simplement son incapacité à se retenir plus longtemps, mais soudain il eut envie de briser le cou de cet insecte et de finir le travail qu’il avait commencé. Puis il réalisa l’ampleur de la transgression : il venait de trahir l’objectif qui lui avait été fixé, de commettre ce qui lui avait été formellement interdit.
Il relâcha Slipher, le repoussa, tourna les talons et s’approcha du plus gros des droïdes de levage binaire. Il se glissa derrière lui pour ne pas être repéré par l’équipe du hangar, puis demanda au Muun :
— C’est celui-là ?
— O… oui.
Slipher, visiblement toujours très secoué, porta une main à sa gorge. Il gardait ses distances et observait Maul comme un animal dangereux dont il aurait découvert la vraie nature.
— Je dois d’abord donner mon autorisation.
— Alors, faites-le ! Nous avons déjà perdu assez de temps.
Slipher se mit face aux photorécepteurs du droïde. Il semblait soulagé de concentrer son attention sur autre chose que Maul.
— Carte de sécurité du CBI référence 377055, vérification vocale du consultant Vesto Slipher.
— Vérification en cours, répondit en écho le droïde.
Ses articulations émirent des gémissements hydrauliques tandis qu’il se redressait.
— Invite de commande ?
— Accès à la sous-routine de mise à jour analytique 1188. Je suis ici pour prendre livraison d’un colis.
— Accès en cours.
Il y eut un nouveau sifflement étouffé.
— Encodage du format des données ?
L’unité de levage marmonna une phrase en binaire qui ressemblait à une série de tons aléatoires se terminant par un gargouillis électronique de défaite. Puis ses photorécepteurs s’éteignirent et ses deux bras en spatule tombèrent au sol dans un vacarme métallique qui résonna aussi fort qu’un tir de blaster.
L’équipe de techniciens leva le nez de la pile de cartons d’emballage.
— Vous ! Que faites-vous ici ? Identifiez-vous.
— Ne vous approchez pas, leur cria Slipher. Il va me tuer !
Les techniciens se figèrent et reculèrent. Le Muun jeta un coup d’œil en direction du Zabrak avant de mettre les mains en l’air.
— Je m’appelle Vesto Slipher. Je suis analyste de terrain pour le CBI.
Il fit mine de regarder Maul d’un air terrifié.
— Ce prisonnier, le détenu 11240, m’a enlevé dans ma chambre et m’a amené ici comme otage. Il essaie de s’évader en montant à bord de la barge de transport à son arrivée.
Le banquier posa encore les yeux sur Maul et ne put réprimer un petit sourire.
— Vous auriez dû me tuer quand vous en aviez l’occasion.
— Qui a dit qu’il était trop tard ? répliqua Maul.
— Dites-moi comment réparer le sabre laser, reprit le Muun, et je ferai ce que je peux auprès de la directrice pour m’assurer que vous vous sortiez de là vivant. Sinon, je ne peux rien faire pour garantir votre sécurité.
Maul eut l’impression que l’espace autour de lui se refermait comme un piège.
— Où est le compresseur géologique ?
— Il n’est sans doute pas encore arrivé.
Slipher éleva la voix pour s’adresser aux hommes à l’autre bout du hangar.
— Hé ! Qu’est-ce que vous fichez ? Dépêchez-vous avant qu’il ne…
— Fermez-la.
Maul lui arracha la Sorcière bleue des mains, puis se tourna vers les membres de l’équipe rassemblés de l’autre côté du hangar. L’imbécillité de Slipher ne lui laissait pas beaucoup de marge de manœuvre, mais il pouvait s’en tirer s’il réagissait vite.
— N’approchez pas, ordonna Maul, restez où vous êtes !
— Détenu 11240, cria l’un d’eux, qu’est-ce que vous avez en main ?
— Un détonateur à plasma.
Maul brandit la Sorcière bleue assez haut pour qu’ils la voient et éleva la voix pour se faire entendre.
— Et des explosifs industriels de haute qualité.
— Ce truc ne ressemble à aucun détonateur connu.
— Faites un pas de plus et vous verrez. Qui veut être le premier ?
— Ne faites pas l’idiot, murmura Slipher, vous ne pouvez pas…
Maul le poussa en direction de l’équipe de chargement.
— Ne vous fatiguez pas, c’est bon. Vous en avez assez fait.
— Vous vous débarrassez de moi ? s’offusqua le Muun, qui avait peine à y croire. C’est de la folie. Ils vont vous tuer en quelques secondes.
— Je suis prêt à courir le risque.
Maul fourra la Sorcière bleue dans sa poche. La lueur était visible à travers le tissu de son uniforme. Il se tourna vers le droïde, saisit son bras manipulateur et se hissa jusqu’à sa console de contrôle principale.
— Détenu 11240, qu’est-ce que vous faites ?
Maul les ignora et se concentra sur le droïde. Le capot du processeur était une simple plaque de métal, il la souleva, fit sauter les boulons et la retira pour exposer le processeur central.
Grâce aux instructions que lui avait fournies Trezza sur Orsis, il était capable de s’introduire dans le motivateur basique des droïdes fonctionnels. Ils étaient tous conçus de façon plus ou moins similaire.
— Détenu 11240…
— Restez où vous êtes.
D’instinct, il avait déjà repéré le programme cognitif mis à jour et isolé le câble dont il avait besoin pour le reprogrammer manuellement. La manœuvre provoquerait un simple dysfonctionnement, mais c’était suffisant pour le moment.
Le droïde bondit en avant, redressa sa jambe droite et leva ses bras manipulateurs au-dessus de sa tête. Ses charnières gyrostabilisées grincèrent quand il fonça vers le pont d’atterrissage et entra en collision avec une pile de cartons d’emballage.
Des caisses et des palettes s’écrasèrent sur le sol. Maul avait déjà effectué un bond en arrière, il se rétablissait en roulant, tandis que l’un des énormes manipulateurs du droïde décrivait un arc de cercle et déséquilibrait une pile de palettes et de plates-formes haute d’une dizaine de mètres. Les plates-formes vides dégringolèrent et se fracassèrent en tombant.
Puis le droïde pivota et avança vers l’équipe de chargement. Les hommes se dispersèrent pour se mettre à l’abri, pendant que leur superviseur filait vers le centre de communication attenant au hangar.
Des lumières bleues se mirent à clignoter de tous côtés, illuminant les murs. Le droïde de levage pivota à nouveau et ramassa les palettes qu’il avait fait tomber pour les projeter de l’autre côté de la salle.
— Imbécile, gronda Slipher derrière Maul.
Celui-ci jeta un œil par-dessus son épaule et vit que le Muun s’était déjà relevé.
— Vous croyiez vraiment que vous pouviez m’abandonner ici ? Rendez-moi la Sorcière bleue, exigea le représentant du CBI en tendant la main.
Maul ne répondit rien. Cela n’avait pas d’importance : le banquier s’était remis à parler, tellement emporté par sa colère qu’il ne se rendait pas compte que le droïde approchait dans son dos.
— Mon intelligence est nettement supérieure à la vôtre, à tous points de vue. Même si vous aviez la moindre chance de…
Ce furent ses dernières paroles. Le droïde de levage s’arrêta à un mètre de lui et ses bras manipulateurs plats décrivirent un nouvel arc. Il frappa Slipher en pleine nuque, à un angle de quarante-cinq degrés parfait, lui tranchant la tête d’un coup net et la projetant en l’air. La scène se déroula presque en silence. Pendant une fraction de seconde, le corps décapité sembla tenir debout, avant de s’effondrer comme une masse. Un pied du droïde vint se poser sur le cadavre et l’écrasa de tout son poids.
C’était une mort inattendue pour Vesto Slipher, sans doute l’un des jeunes esprits les plus brillants du CBI, décapité sans cérémonie par une machine aussi décérébrée que le Muun était intelligent. Au final, personne dans la galaxie ne sembla particulièrement s’en rendre compte.
Maul, pour sa part, ne prit même pas la peine de se retourner. Dans le chaos du hangar, il repéra le turbo-ascenseur qu’il avait emprunté avec Slipher pour venir. Il pouvait le rejoindre en moins de cinq secondes, à condition qu’aucun membre de l’équipe de chargement ne soit équipé d’un blaster, ce dont il doutait.
Il se mit à courir.