42
 
Saignez ce monstre

Maul réintégra sa cellule quelques secondes avant que la reconfiguration ne démarre. Il venait de franchir l’écoutille quand elle se referma derrière lui. Les murs et le sol se mirent en mouvement. Tandis que le vacarme désormais familier des engrenages et des mécanismes emplissait l’air, il leva les yeux vers l’endroit d’où la directrice et le reste de la communauté galactique des parieurs l’observaient. Sa participation au prochain match semblait courue d’avance.

Que devrait-il affronter cette fois ? Du feu ? De la glace ? Le sarlacc de la Grande Fosse de Carkoon ?

La cellule pivota tandis que la prison adoptait son nouvel alignement. Maul s’agrippa aux poignées du banc, le temps que ça passe. Peu importe contre qui il devrait se battre. Maintenant qu’il avait vu Radique en face…

La cellule s’arrêta.

Maul inclina la tête et tendit l’oreille pour chercher à deviner quel opposant l’algorithme avait sélectionné pour lui. Qui que ce soit, il le tuerait le plus vite possible pour se concentrer sur son objectif.

Un mur s’écarta.

Maul jeta un œil dans le passage, les muscles tendus pour répondre à l’attaque…

Et abasourdi de surprise, il sentit son envie de tuer se dissiper d’un coup.

Le Weequay franchit le seuil et se posta en face de lui.

 

Pendant un moment, Maul fut incapable de réagir. Le Weequay avançait vers lui, un faucon griffu perché sur une épaule. Maul les observait, les sens affûtés, toujours sous le choc. Le rapace leva une de ses serres pour changer de position, révélant les nœuds de khipus attachés à ses pattes.

— Tu étais censé être mort, écartelé dans l’usine, Jagannath. J’aurais dû t’achever moi-même.

Il continuait à avancer. Maul fut à nouveau pris d’un doute profond : et si tout ce qui lui était arrivé depuis le premier jour – les matchs, les énigmes, les machines qui avaient failli l’écarteler – n’était que les rouages d’une machination ou d’une épreuve plus vaste mise au point par Sidious ? Le moment de l’ultime épreuve était peut-être enfin arrivé.

— Attends, fit Maul, je n’ai pas l’intention de te tuer.

— Tu as raison, là-dessus.

Maul ouvrit son col pour montrer au Weequay les rouleaux de crédits qu’il avait glissés dans son uniforme avant de quitter l’usine. Puis il les brandit.

— Trois cent mille crédits. Ils sont à toi.

Le Weequay ne répondit pas. Il leva un bras et l’oiseau s’envola. Il traversa la cellule comme une ombre libérée de l’objet qui la projetait. Il fonça droit sur le visage de Maul, les serres étendues. Le Zabrak baissa la tête et tenta de lui décocher un coup de poing. Le rapace plongea sous son bras à la dernière seconde, remonta en hurlant et enfonça ses griffes dans le visage du détenu, puis lui picora les yeux avec frénésie.

Maul attrapa l’animal à tâtons, l’écarta de son visage et tenta de le jeter par terre, pour le piétiner jusqu’à ce qu’il meure, mais le rapace se libéra facilement et s’envola en croassant dans une traînée de plumes. Maul releva la tête et s’essuya les yeux. Sa vue était brouillée par un rideau de sang. Le Weequay n’était qu’une vague silhouette, plus proche que jamais.

— Je sais exactement ce que tu es et je sais qui t’a envoyé ici.

Il brandissait un objet au-dessus de sa tête – une arme de combat, un poignard ou une pique que Maul ne parvint pas à reconnaître tout de suite –, prêt à porter le coup fatal.

— Maintenant, je vais te donner ce que tu mérites.

Une supernova de douleur explosa dans le flanc gauche de Maul et son bras droit perdit toute sensibilité, alors qu’il le levait pour essayer de se protéger.

La paralysie ne s’arrêta pas là. Pour la première fois depuis son arrivée sur Engrenage Sept, Maul n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire. Tuer Radique ferait échouer sa mission. L’échec serait total aux yeux de son Maître et des Sith.

Et s’il ne tuait pas le Weequay, Maul perdrait lui-même la vie.

— Tu sers le Bando Gora, vociféra le Weequay.

— Non, ce n’est pas…

Derrière lui, des ailes s’agitèrent.

Maul réagit par instinct et étendit le bras gauche pour attraper le faucon griffu en plein vol. Son bras droit était toujours hors d’usage. Il ne savait pas ce que le Weequay lui avait fait avec l’arme, mais il avait perdu le contrôle de ce membre, ne fût-ce que temporairement. Une aile en main, Maul mordit dans l’autre et serra la mâchoire pour les écarter le plus possible l’une de l’autre.

Désoriente-le. Rends-le fou jusqu’à ce qu’il ne puisse plus distinguer un ami d’un ennemi. C’est le seul moyen.

L’animal se débattit de toutes ses forces, se tortilla en donnant des coups de bec frénétiques et en hurlant. Ses serres labouraient le visage de Maul et creusaient de profonds sillons dans ses joues, mais le Zabrak ne lâchait pas prise.

Il balança l’oiseau et s’en servit pour gifler le Weequay à la volée avec une violence telle que le dos de l’animal se brisa au moment où il griffait les yeux de son adversaire. L’oiseau tomba par terre, disloqué, les ailes désarticulées.

Maul essuya le sang de son visage. Sa vision commençait enfin à s’éclaircir. Il recula et leva la main gauche dans une dernière tentative pour communiquer avec le Weequay.

— Écoute-moi. Je ne représente pas le Bando Gora. Je veux t’acheter une arme. J’ai besoin…

Radique l’attaqua à nouveau, lui assénant une déferlante de coups brefs et brutaux à hauteur du cou et du visage. Le déluge d’impacts était presque trop rapide pour que Maul le remarque. Il sentit le sol se dérober sous lui et tomba à genoux. Quand la pique de Radique s’abattit à nouveau sur son crâne, Maul se rendit compte que le Weequay allait le frapper jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Tout allait se terminer ici.

Maître. L’incertitude obscurcissait son raisonnement. Que dois-je faire ? Comment puis-je… ?

Un nouveau coup, le plus terrible de tous, interrompit sa pensée. Maul s’effondra à plat ventre. Il savait que cet échec lui coûterait tout, qu’il ne pourrait jamais retourner auprès de Sidious, collaborer au Grand Plan, et pourtant…

Les pensées de Maul le replongèrent dans sa petite enfance, plus loin qu’il n’avait jamais osé se remémorer, au début de sa formation, à la torture infinie à laquelle il avait dû faire face sur Mygeeto. Cette épreuve atrocement douloureuse lui avait permis de comprendre qu’en fin de compte la galaxie était un lieu insensible qui ne le protégerait jamais. Et que le seul moyen de survivre était de ne jamais lâcher le morceau.

Jamais.

Abandonner.

Pas à cette époque.

Pas maintenant.

Jamais.

Quelque chose se débloqua en lui, un instinct pur plus profond encore que l’envie de réussir sa mission. Il se mit debout d’un bond, attrapa le Weequay par les tresses et tira sa tête en arrière tout en projetant la sienne vers l’avant de toutes ses forces pour enfoncer ses cornes dans la gorge du détenu.

La trachée de Radique ne résista pas au choc et se déchira de haut en bas. Son corps s’affaissa et Maul lâcha les tresses pour le laisser retomber sur le sol.

Il s’écarta du cadavre et resta là un long moment.

Tout était terminé.

Maître, je n’avais pas le choix.

Le silence seul daigna lui répondre.