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Rêves de sabre rouge
Maul était couché et rêvait.
Ce n’était pas habituel et, quand cela se produisait, il en avait rarement conscience. Ce qui lui tenait lieu de sommeil paradoxal ne provoquait pas d’alchimie neurologique entre la pensée consciente et inconsciente. Son cerveau de guerrier n’en avait pas l’utilité.
Le fait qu’il rêvait dans l’infirmerie, allongé sous sédatifs lourds et intubé, pendant qu’il se rétablissait de son dernier combat, aurait dû le surprendre. La simplicité du rêve ne faisait que souligner sa vraisemblance et, pendant un court moment, il crut que la scène se produisait vraiment.
Il disputait un nouveau match.
Debout devant l’accès de sa cellule, il attendait que son adversaire se montre, baissait les yeux et distinguait un objet posé sur le sol à quelques pas tout au plus. C’était une boîte en acier ordinaire, à peine plus grande qu’un droïde-souris. Pourtant, un seul coup d’œil suffit à le convaincre qu’elle contenait ce qu’il était venu chercher, l’objectif de ces journées passées dans la fange d’Engrenage Sept.
Alors qu’il se penchait pour l’ouvrir, un bruit s’éleva de l’autre côté de la cloison, le grognement d’un être vivant se préparant à combattre jusqu’à la mort. Grâce à la logique irréfutable du rêve, Maul devina que cet ennemi serait le plus terrible de tous, bien pire que la créature qu’il avait affrontée à son arrivée, que le wampa, l’Aqualish ou le Weequay et son faucon griffu.
Ce serait celui qui le terrasserait.
L’écoutille coulissa et l’adversaire se montra. Maul l’examina.
Cette partie du rêve n’était pas si surprenante que cela.
— Ouvre-la, ordonna un deuxième Maul en fixant la boîte noire. Elle est à toi, qu’est-ce que tu attends ?
Maul étudia son double, debout à cinq mètres de lui. Dans son rêve, le fait qu’il doive s’affronter lui-même était parfaitement logique, comme si cet instant, et non la localisation d’Iram Radique, était l’objectif final qu’il cherchait à atteindre depuis le début de son incarcération.
Tout à coup, Maul réalisa ce que contenait la boîte.
— Non. Mon Maître l’interdit.
— Ton Maître ? railla l’autre Maul.
Cette réponse semblait faire enrager son double.
— Ne sois pas idiot ! Elle t’appartient. Tu vas en avoir besoin si tu veux me battre. Sinon, c’est comme si tu étais déjà mort. Prends-la !
— Je ne peux pas. Je vais mettre en péril la mission que j’ai promis de mener à bien.
La voix de Maul se serra.
— Je dois faire preuve de retenue. Je dois…
— Tu es perdu sans ça !
Rêve ou pas, Maul sentit la colère bouillonner dans sa poitrine, s’emparer de ses poumons et des nerfs de sa colonne vertébrale. Sa mâchoire se serra.
— Peut-être, concéda-t-il. Il est trop tard pour ça. Tu as déjà été évalué, mesuré et jugé insuffisant.
Il indiqua la boîte posée sur le sol.
— Regarde toi-même.
Avec un mauvais pressentiment, Maul posa les yeux sur la boîte.
Elle était ouverte.
Elle était vide.
Parce que son contenu était déjà dans sa main.
C’était son bâton de Force.
Maul se sentit submergé par une énorme vague de honte. Il réalisa qu’en ouvrant la boîte et en empoignant l’arme des Sith, il avait trahi son Maître. Il avait commis la faute qu’il avait promis de ne jamais commettre et…
L’autre Maul se jeta sur lui. Par réflexe et sans hésiter un instant, Maul activa le sabre. Deux lames rouges s’étendirent de chaque côté de sa main. Maul sentit la puissance exploser en lui, l’envelopper jusqu’au plus profond de son âme.
Il était sûr de lui, certain de sa force.
Il était fait pour cela.
Il fit tournoyer le bâton de Force en décrivant un arc gracieux et, d’un seul geste, trancha son adversaire en deux au niveau de la taille. Les deux moitiés se séparèrent sans une goutte de sang et atterrirent sur le sol de la cellule. Maul baissa les yeux vers son propre visage et vit son double lui sourire.
— Très bien, commenta sa voix.
En un instant, il réalisa son erreur. C’était lui qui était par terre, vaincu.
Il leva les yeux vers lui-même, l’autre, le vainqueur.
Mais ce n’était plus son visage qui le regardait. C’était un Muun, qu’il ne reconnut pas tout de suite, même si sa présence lui était étrangement familière. Elle lui donnait l’impression qu’il aurait dû le reconnaître, qu’il l’avait déjà rencontré peut-être, ailleurs, dans un rêve à l’intérieur d’un rêve. Un nom inconnu lui vint à l’esprit comme un râle d’agonie.
Plagueis.
L’obscurité l’envahit et, quand il se réveilla dans l’infirmerie, baigné de sueur, ses doigts étaient crispés et serraient un objet imaginaire de forme cylindrique qui n’était pas là.