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Antidote
Maul regarda Zéro quitter la queue du réfectoire, à bonne distance. Il attendit que le Twi’lek s’asseye, prenne sa fourchette et se mette à manger d’un air pensif.
Trois bouchées. Quatre. Cinq.
Maul vint s’installer en face de lui.
— Bonjour, Zéro.
La fourchette du Twi’lek retomba avec un cliquetis. Sa bouche s’ouvrit, révélant la nourriture à moitié mastiquée qu’il s’apprêtait à avaler. Le spectacle n’était pas beau à voir.
— Jagannath, murmura-t-il. Tu es censé être…
— Mort ?
Maul le fusilla du regard.
— Je comprends que tu fasses une tête pareille. Quand tu m’as laissé à l’usine, j’allais être écartelé. Et pourtant, je suis encore vivant.
Le Twi’lek parvint à avaler sa bouchée, mais n’était toujours pas capable de finir sa phrase. Son regard partait à gauche puis à droite, les muscles de sa gorge tressaillaient sous sa peau, comme s’il tentait en vain de digérer les preuves de la présence de Maul.
— Tu… tu ne comprends pas. Tu ne peux pas être ici. Il te croit mort.
Zéro fit mine de se lever, mais Maul fut plus rapide. Il attrapa la fourchette de Zéro et s’en servit pour transpercer sa manche et le clouer à la table.
Trois détenus baraqués se levèrent de la table voisine et foncèrent vers Maul. Sans quitter le Twi’lek du regard, le Zabrak lui intima à voix basse, pour que lui seul l’entende :
— Dis-leur de se rasseoir.
— C’est bon, annonça Zéro à ses gardes du corps avec un filet de voix. Allez vous rasseoir.
Les détenus hésitèrent avant de reprendre leur repas.
— C’est intéressant, commenta Maul avec douceur, d’observer qui nous servons et pourquoi. Tu as commencé par me dire qu’Iram Radique n’existait pas. Et maintenant je sais que tu travailles pour lui.
— Tu n’as pas idée…
— J’ai emporté le vieux quand j’ai quitté l’usine, poursuivit Maul. Il ne va pas bien. Son infection va le tuer. Mais il m’a révélé quelque chose d’intéressant avant de délirer pour de bon. Il m’a dit que tu portais un autre nom.
Le visage de Zéro resta impassible.
— Lequel ?
— C’est ça que tu vas me dire.
— Jagannath, s’il te plaît, reprit le Twi’lek d’une voix basse et pressante. Tu dois m’écouter. Je suis ici depuis l’ouverture de la prison. Il y a une raison pour laquelle j’ai survécu aussi longtemps.
— Juste avant de tuer Novi, je lui ai demandé s’il y avait quelqu’un d’autre, quelqu’un au-dessus de lui, qui collaborait directement avec Radique. Il a dessiné quelque chose avec ses doigts. Sur le moment, j’ai cru que c’était un cercle. Mais ce n’était pas ça.
Il se rapprocha jusqu’à ce que son visage touche presque celui du Twi’lek.
— C’était un zéro.
— Novi ?
Le Twi’lek secoua la tête, dubitatif avant de poursuivre son idée :
— Novi était juste…
— Un leurre, compléta Maul d’un ton indifférent. Je sais. Vous l’avez sacrifié pour détourner mon attention de là où elle aurait dû fouiller depuis le début.
Il jeta un œil au plateau de Zéro, où le repas spécial réservé au Twi’lek n’était qu’à moitié mangé.
— J’ai tout de suite remarqué que tu avais de la nourriture de meilleure qualité que les autres. J’imagine que c’est l’un des avantages d’être le point de passage obligé de toutes les marchandises qui entrent dans la prison. Malheureusement, ça te rend aussi très vulnérable.
— Vulnérable à quoi ?
— J’ai glissé un gramme de poudre de racine de metaxas blanche dans la cuve juste avant que tu ne rejoignes la queue, lui avoua Maul d’une voix neutre, Coyle m’en a offert plus tôt dans la journée. Heureusement, il en avait encore quand je suis revenu lui en demander. On dit que c’est inodore et insipide, mais que l’effet est foudroyant.
Il regarda le repas inachevé.
— Et tu en as déjà assez mangé pour que ça te tue.
Zéro examina son plateau avec horreur, puis le repoussa, comme si l’éloigner suffisait à arrêter le processus en cours.
— P… Pourquoi ?
Maul ouvrit la main pour révéler à Zéro un flacon transparent contenant une poudre grise.
— Il y a un antidote, je l’ai volé à l’infirmerie. Si je te le donne dans les trente secondes, tu survivras.
— Je t’ai déjà dit…
— J’ai vu le visage de Radique. Maintenant, je dois m’arranger avec lui. Je suis prêt à payer trois mille crédits pour une arme nucléaire interdite. J’ai l’argent avec moi. Je contacterai personnellement les acheteurs et j’arrangerai leur arrivée pour qu’ils puissent prendre possession de Far me.
— Il…
Les mains de Zéro commençaient à trembler. Il les examina d’un air à la fois surpris et terrifié, puis releva les yeux vers Maul.
— Il n’acceptera jamais.
— Pourquoi pas ?
— Il connaît le Bando Gora. Ils ont déjà essayé de le tuer. Ce sont ses ennemis jurés. Il a fait le serment de ne jamais collaborer avec eux.
— Alors, tu vas devoir le convaincre de changer d’avis.
— Tu es complètement… fou.
Tout le corps de Zéro se mit à trembler. Quand il reprit la parole, sa voix était chevrotante et les mots s’échappaient de ses lèvres par bribes.
— Tu n’as aucune idée… de ce que tu as fait.
Son visage s’effondra lourdement sur la table.
L’air irrité, Maul souleva la tête de Zéro de son assiette, inspecta ses yeux et la laissa retomber.
Il l’abandonna dans cette position et quitta le réfectoire.