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Purge
— Je n’aime pas ça.
Quand les alarmes de proximité du tableau de bord retentirent, Bissley Kloth, fraîchement nommé navigateur et second du Purge, la barge de la prison, était sur le pont et tentait encore d’entrer en contact avec le yacht spatial à l’arrêt devant lui.
Kloth interrompit l’alerte d’un geste brusque, prenant le contrôle de la situation avec une assurance étonnante pour son âge. À vingt-deux ans, c’était encore un jeune homme. Pourtant, il travaillait à bord du Purge depuis cinq ans, depuis qu’il était assez âgé pour être engagé. Transporter des condamnés et des fripouilles locales vers différentes stations de détention et colonies pénitentiaires galactiques, parmi lesquelles Engrenage Sept, n’était pas le moyen le plus simple de gagner sa vie. Il s’y était néanmoins vite habitué – à la plupart des aspects du métier en tout cas, y compris aux occasionnelles rencontres indésirables avec des cargos qui s’aventuraient dans la Bordure Extérieure.
Et même si le Purge n’était rien de plus qu’une barge poubelle où l’on avait installé des cellules et une infirmerie improvisée, Kloth avait l’ambition de transformer un jour ce vaisseau en prison flottante, qu’il pourrait diriger. Il deviendrait alors le directeur Kloth.
Pour le moment, le Purge ne transportait que quarante-six détenus, humains et non humains.
— Monsieur Kloth, que se passe-t-il ?
Le capitaine, Wyatt Styrene, déboucha sur le pont en boitillant, ses yeux bleu pâle brillant d’enthousiasme. Styrene était un ancien contrebandier qui connaissait comme sa poche les systèmes non répertoriés et ne reculait jamais devant une confrontation.
— Les alarmes de proximité se sont déclenchées à cause de ce yacht spatial, expliqua Kloth en indiquant le vaisseau de luxe qui n’avait toujours pas répondu à leurs appels. Je gère la situation, ce n’est pas…
Soudain, le Purge fut la cible d’une volée de tirs, qui la secoua si fort que Kloth dut se cramponner au tableau de bord pour ne pas tomber. Il scruta les écrans et remarqua un élément qui lui avait échappé jusqu’à ce qu’il soit trop tard : un essaim de Z-95 chasseurs de têtes approchait en criblant le ventre de la barge de missiles à concussion. Les alarmes hurlèrent à nouveau.
— D’où est-ce qu’ils sortent ? cria Kloth, sans se rendre compte qu’il avait formulé la question à voix haute.
C’étaient évidemment ces chasseurs de têtes qui avaient déclenché les alarmes qu’il avait par erreur attribuées au yacht spatial. Il n’arrivait pas à croire que cette ruse ait suffi à le berner. Styrene paraissait serein, Kloth aurait même pu jurer qu’un sourire se dessinait sur le visage du vieux pirate.
— S’ils veulent la bagarre, ils vont l’avoir.
Sans se retourner vers Kloth, il activa l’arsenal du Purge.
— Allez vous assurer que notre cargaison est en sécurité, monsieur Kloth.
— Capitaine ?
— Allez-y, je me charge du pont.
Il fit un geste en direction de l’écoutille.
— Il est presque l’heure de les nourrir, non ?
Kloth s’éloigna d’un pas rapide en adressant un signe de tête aux gardiens postés de part et d’autre de l’écoutille qui menait à la cale principale du vaisseau.
— Tout est sécurisé en bas ?
— C’est verrouillé, répondit le gardien. Que se passe-t-il en haut ?
En une fraction de seconde, Kloth décida de garder pour lui l’arrivée des chasseurs de têtes afin de maintenir un semblant d’ordre.
— Je ne sais pas trop. Le capitaine est sur le pont. La situation est sous contrôle.
— Expliquez-leur, rétorqua le gardien en indiquant la cale où se trouvaient les cellules.
Kloth entendait les détenus hurler dans la pénombre et exiger des explications. D’habitude, arrivés à cette étape du voyage, les condamnés qu’ils conduisaient à Engrenage Sept étaient plongés dans un silence blasé, mais les tirs les avaient agités. Ils voulaient savoir si le vaisseau était attaqué.
— Je vais vérifier la cale principale, déclara Kloth. Qui d’autre est en bas ?
— Carrier et Hayes.
Deux types bien, se dit Kloth, ou, à tout le moins, rompus aux combats.
Il hocha la tête et baissa la tête pour descendre.
— Dites au capitaine que si je ne suis pas revenu dans cinq minutes…
Bang ! Quelque chose heurta le flanc du Purge en son milieu. L’impact paraissait trop lourd pour un turbo-laser : ils devaient avoir heurté un astéroïde ou un autre vaisseau. Kloth était déjà à mi-chemin sur la passerelle qui longeait les cellules et il fut projeté contre un mur de consoles. Le choc fut suivi d’un étrange grincement aigu en provenance d’en bas. On aurait dit le cri d’une lame tentant de percer le duracier.
Le gardien à côté de lui leva son blaster, vérifia la charge, le visage tendu.
— Qu’est-ce que c’était ?
— On dirait…, commença Kloth, mais les mots se coincèrent dans sa gorge.
On dirait un abordage.
Quelques secondes plus tard, il remarqua que les prisonniers ne disaient plus un mot.