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Aveuglé
Maul revint à lui dans une lueur aveuglante, une véritable tempête d’incandescence qui lui brûlait les rétines, oblitérant tout ce qui se trouvait derrière la source lumineuse. Il voulut bouger et se rendit compte qu’il en était incapable. Ses bras et ses jambes étaient attachés en extension et il était suspendu au-dessus de… quoi ? C’était impossible de le savoir.
Avec quoi lui avait-on tiré dessus ? Une arme incapacitante, assez puissante pour le mettre hors d’état. Ceux qui avaient planifié cette attaque avaient visiblement prévu d’échapper aux caméras de surveillance. C’est sans doute pour cette raison aussi qu’ils faisaient appel à ces lumières aveuglantes, pour masquer leurs faits et gestes.
Maul entendit des sons provenant de sa gauche. Quelqu’un respirait avec difficulté, prononçait des mots incohérents, des espèces de croassements. Maul tendit l’oreille pour chercher d’autres indices, quand il réalisa que des pas s’approchaient.
— Où est le vieil homme ? demanda une voix.
— Dans le coin, répondit une autre voix, plus familière. À côté de la presse.
— Il a dit quelque chose d’intéressant ?
— Il délire.
La voix familière était calme, mais Maul crut y détecter de la compassion.
— Après avoir perdu sa jambe, il a fait une septicémie. L’infection s’est déjà propagée jusqu’à son cerveau.
Celui qui venait de parler s’approcha suffisamment pour que Maul distingue ses traits.
— Bonjour, Jagannath.
Maul plissa les yeux vers le Twi’lek penché sur lui.
— Zéro ?
— Tu as causé pas mal d’agitation. Tu n’aurais pas dû tuer Novi. M. Radique déboursait de jolies sommes pour empêcher qu’il soit sélectionné pour les matchs.
— Donc, tu le connais ?
— Ta première erreur a été de demander au Nelvaanien de pirater l’algorithme.
Le Twi’lek semblait intrigué, comme s’il ne comprenait pas ce qui avait poussé Maul à commettre une telle erreur.
— Il y a déjà eu des répercussions. Des conséquences graves.
Il se pencha et souleva un corps sans vie pour que Maul l’aperçoive.
C’était Izhsmash. La mâchoire cassée du Nelvaanien pendouillait dans le vide. Sa bouche et ses orbites étaient remplies de morceaux de circuits imprimés brisés et de câbles – le message semblait s’adresser à tous ceux qui découvriraient le cadavre.
Quelqu’un s’éclaircit la gorge vers la gauche. Maul releva la tête et tenta de se dégager du réseau de câbles qui reliaient ses bras et ses jambes aux murs.
— Il est ici avec toi ? Radique est ici ?
Zéro ignora la question.
— Les gardiens et les détenus trouveront ton corps à côté de celui du Nelvaanien, expliqua-t-il avec la même étrange empathie. Ils comprendront ce qui s’est passé. Nous devons de temps en temps envoyer des messages de ce genre. C’est sa volonté.
Il se rapprocha pour baisser le ton et s’excusa presque :
— Personne ne menace M. Radique, Jagannath. Tu comprends, non ? Les affaires sont les affaires.
— Je voudrais faire affaire avec lui, justement. Dis à Radique…
— Au revoir, Jagannath, lança la première voix, que Maul n’avait jamais entendue. C’est dommage que tu doives terminer ton séjour en servant d’exemple. Tu étais un spécimen intéressant.
— Attends, fit Maul en relevant à nouveau la tête.
Il aperçut la silhouette à côté de Zéro. C’était un Weequay, qu’il n’avait jamais croisé. À moins que ? Son visage buriné et tanné par le soleil était plissé et lui donnait un air interrogateur. Son front haut était surmonté d’un chignon. Maul se remémora le détenu qu’il avait aperçu lors de son premier jour en prison.
Le faucon griffu était perché sur son épaule.
— Ce sont les conséquences, Jagannath.
Sans un mot de plus, le Weequay adressa un regard à Zéro et ils tournèrent les talons pour quitter la pièce.
Il y eut un soubresaut mécanique produit par de grosses machines se mettant en route à regret. Des servomoteurs crachotèrent avant d’émettre un ronronnement vibrant. Maul pensa à l’usine.
Avant qu’il puisse comprendre ce que les bruits signifiaient, il sentit les câbles autour de ses poignets et de ses chevilles se tendre et le tirer dans quatre directions opposées.
Les lumières aveuglantes s’éteignirent, le plongeant dans l’obscurité la plus complète.
Maul secoua et tira ses liens, mais les câbles autour de ses bras et ses jambes se resserrèrent de plus belle, étirant ses épaules et augmentant la tension dans ses hanches et ses genoux. Il lutta pour se libérer, mais les liens résistaient. Quelque chose craqua dans son poignet droit. Toutes ses articulations se mirent à brûler. S’il ne faisait rien, ses membres seraient bientôt arrachés.
Au-dessus de lui, par-delà le bourdonnement de la machine, il entendit un battement d’ailes rapide.
Dans l’obscurité, un sifflement s’éleva, suivi de mots articulés avec peine.
— Vont… nous tuer tous les deux, articula une faible voix.
Maul la reconnut enfin. Le vieux était à ses côtés. Le père d’Eogan, celui à qui Voystock avait arraché une jambe d’un coup de blaster. Maul fouilla sa mémoire pour retrouver son nom, qui lui revint d’un coup.
— Artagan ?
— J’aurais jamais dû… lui sauver la vie. J’aurais dû rester avec le Bando Gora. Trop tard, je suppose.
Maul tourna son corps autant que le permettaient les câbles pour permettre à sa tête de pivoter dans la direction de la voix. La tension dans ses extrémités avait transcendé la douleur, l’avait catapulté sur un autre plan de conscience. Presque instinctivement, il pensa à faire appel à la Force, à utiliser une puissance et des capacités dont la magnitude pourrait le sauver de la mort. La Force avait été mise à sa disposition pour une raison, un objectif qui dépassait tous les autres, non ?
Depuis les profondeurs de sa conscience, il entendit la voix de son Maître résonner dans son esprit.
Certains aspects de notre personnalité ne peuvent nous être révélés que lorsque nous sommes plongés dans les abîmes d’une souffrance intolérable, dans les moments où plus rien d’autre n’existe… quand nous sommes à la limite de l’éternité et que nous regardons la mort en face.
Maul ne respirait pas. De la sueur coulait sur son visage. Il faisait toujours face à Artagan et parvint à soutenir son regard.
— Qu’as-tu dit ?
— Bando Gora, marmonna Artagan. Gloire au crâne…
— Tu étais dans le Bando Gora ?
— … allaient tuer Radique.
Dans le noir, le vieil homme marmonna autre chose, une série de consonnes inintelligibles, avant de retrouver sa lucidité.
— Je les ai trahis, j’ai sauvé Radique. Ils me traquent… depuis ce jour.
Maul ne dit rien. Sous la douleur et les cliquetis de la machine qui l’écartelait, une nouvelle révélation prit forme dans son esprit.
— C’est pour cette raison que tu as amené ton fils sur Engrenage Sept.
Le vieillard grommela en signe d’acquiescement.
— Radique a promis… de me protéger…
Maul compara ce que le vieux racontait à ce qu’il savait. Une pièce du puzzle se mettait enfin en place, renforçant sa détermination.
Il rassembla ce qui lui restait de force et tira de toute son énergie son bras droit. Son épaule se disloqua avec un bruit de bouchon qui saute et une torpeur élastique l’envahit, suivie d’une vague de douleur, comme si on lui enfonçait des aiguilles dans tout le membre. Il faillit perdre l’usage de son bras. Heureusement, sa tactique avait fonctionné : le câble était à présent juste assez détendu pour lui permettre de sortir son poignet droit du nœud.
Il se servit de sa main dégagée, devenue presque insensible, pour libérer son poignet gauche. Il eut l’impression que la manœuvre durait une éternité, mais bientôt sa main gauche fut enfin débarrassée de ses entraves à son tour. Dès qu’il eut détaché ses chevilles, il projeta le haut de son torse de toutes ses forces contre le sol pour remettre son épaule en place.
Une bonne chose de faite.
Il se redressa et traversa la pièce. À présent, ses yeux étaient parfaitement acclimatés à l’obscurité. Il se trouvait dans l’usine, comme il s’y attendait : les machines imposantes et les sculptures en os de Coyle balisaient le décor comme pour leur rappeler le destin qui les attendait. Si Zéro l’avait amené ici, avec le Weequay…
— Le Weequay ! s’exclama-t-il à haute voix.
Il fit quelques pas pour rejoindre l’endroit où le vieil homme gisait sur le sol, affreusement diminué par ses blessures, brûlant de fièvre. Maul sentait la chaleur s’élever de son corps comme d’une fournaise et reconnut l’odeur de la maladie.
— Celui qui était avec Zéro. C’est lui, hein ? C’est Iram Radique ?
Le vieux émit un faible grognement qui aurait pu être un signe d’assentiment.
— Radique…
— Il faut que je le trouve. Quels étaient ses liens avec le Gora ?
— Peux… pas… le dire.
— Pourquoi ?
— Juste… à Eogan.
Maul se pencha sur Artagan Truax, le souleva d’un coup et le hissa sur son épaule.
— Où m’emmenez-vous ?
— Loin d’ici. Nous devons encore discuter.