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Triomphe sans gloire
Maul se fraya un chemin à travers la foule massée devant le réfectoire en jouant des coudes. Il avait laissé Zéro affalé dans sa nourriture. Leur dernier échange ne lui avait rien appris. Au moment où il s’était levé pour partir, les trois détenus qui veillaient sur le Twi’lek l’avaient emporté, probablement à l’infirmerie. Maul doutait qu’ils puissent arriver à temps, mais c’était possible, s’ils se dépêchaient.
Il avait d’autres urgences à régler.
Il retrouva le gamin dans sa cellule, assis à côté du corps de son père. Le vieillard gisait immobile sur la couchette, la respiration saccadée. Ses traits étaient tirés, sa peau tachetée et couverte de cloques.
— Jagannath ? fit Eogan. Qu’est-ce que…
— Porte-le, il faut qu’on parte.
— Où ?
— Suis-moi.
Eogan se pencha et prit délicatement son père dans les bras.
La morgue était aussi silencieuse que dans le souvenir de Maul. Ils franchirent l’écoutille en file indienne. Le garçon hissa son père sur son épaule pour franchir le seuil.
— Qu’est-ce qu’on fait ici ? demanda Eogan, mal à l’aise.
Maul ne se retourna pas.
— Pose-le là, ordonna-t-il en indiquant une table vide le long du mur.
— Vous ne m’avez toujours pas dit…
— A-t-il révélé autre chose au sujet du Bando Gora ? Quoi que ce soit ?
— Non, je vous l’ai dit. Il est… il n’est plus capable de parler. L’infection s’est…
Il avala sa salive, incapable de formuler sa pensée.
— Il a besoin de médicaments, conclut-il.
Maul ne répondit pas. Il se pencha sous la console la plus basse et sortit l’holotransmetteur de sa cachette. Il tapa le code d’activation, puis se tourna vers Artagan Truax.
— Vieil homme.
Ses paupières se soulevèrent légèrement et Artagan le regarda d’un air absent. Ses lèvres desséchées bougeaient sans produire le moindre son.
— Il faut que tu entres le code pour contacter le Bando Gora.
Artagan Truax parvint à secouer la tête.
— Me souviens… de rien.
— Il va falloir que tu te souviennes rapidement. Sinon, je vais tuer ton fils.
Eogan tourna la tête pour l’observer. Le vieil homme essaya de s’asseoir.
— La fréquence, insista Maul. Encode-la.
Après un instant qui sembla durer une éternité, Artagan Truax se mit à taper. Ses doigts tremblaient sur le clavier. Il entrait les coordonnées avec des mouvements saccadés. Quand il eut fini, il se laissa retomber en silence.
— C’est tout ?
Le vieux ne répondit pas. Maul l’examinait encore quand il se rendit compte que les yeux du gamin étaient fixés sur le couloir, vers l’extérieur de la pièce.
— Vous avez entendu ça ? C’est l’appel du clairon.
Maul tendit l’oreille. Eogan avait raison.
— File. Tout de suite.
Le garçon regarda son père.
— Où est-ce que je dois…
— Ça n’a pas d’importance. Emmène-le. Dans ta cellule. Fonce, je te dis.
Quand Eogan prit son père dans ses bras et l’emporta, Maul coupa la fréquence de contact de l’holotransmetteur et réactiva l’appareil. Il s’agenouilla, la tête baissée, et attendit.
Au bout de quelques secondes, Dark Sidious apparut. Il ne perdit pas de temps en formalités.
— Tu as du nouveau ?
— Oui, mon Maître.
— De quoi s’agit-il ?
— D’Iram Radique. Je l’ai trouvé.
Quelques instants plus tard, Maul était redescendu à l’usine, il avançait entre les statues en ossements, sondant l’ombre à la recherche de celui qui l’aiderait à passer à l’étape suivante.
La réaction de son Maître quand il avait appris l’identité d’Iram Radique n’était pas celle que Maul avait espérée. Sidious l’avait écouté avec impatience quand il lui avait parlé du Weequay et avait raconté comment il avait échappé de justesse à l’écartèlement sans trahir sa maîtrise de la Force.
À la fin, son Maître avait simplement hoché la tête, laissant entendre que tout cela aurait dû se passer beaucoup plus tôt. Il avait ensuite exigé que Maul le contacte une fois l’accord conclu. Il n’avait rien dit du Bando Gora ou de la difficulté de parvenir à un arrangement entre la secte et Radique. Il laissait à Maul le soin d’arranger les détails. C’est pour cette raison qu’il était de retour dans l’usine où il avait failli mourir.
Il s’avança, tous les sens en éveil, jusqu’à reconnaître le fredonnement du Chadra-Fan dans l’obscurité.
Coyle se retourna en souriant.
— Ah. Jagannath. Vous êtes venu chercher votre dû ?
— C’est prêt ?
— Je viens de terminer.
Sans cesser de fredonner, Coyle contourna une pile d’os puis fouilla des déchets mécaniques et organiques pour déterrer une boîte métallique plate qu’il présenta à Maul, les yeux brillant de fierté.
— Trois cent mille crédits. Et suffisamment authentiques pour tromper l’inspection la plus minutieuse. Cela vous convient-il ?
Maul examina les rangées de crédits et en souleva un du sommet de la pile pour le présenter à la lumière. Le travail était impeccable. Il ne résisterait probablement pas à un examen approfondi, mais suffirait pour ouvrir les portes qu’il devait franchir, afin d’arranger les derniers détails avec Radique.
Pour le moment, il ne lui en fallait pas plus.
Maul se fraya un chemin parmi la foule de corps nauséabonds qui obstruaient le couloir, serrant le coffret métallique. Un Roi des os costaud lui cogna l’épaule. Ce n’était pas un accident. Sans même se retourner ou ralentir, Maul enfonça le poing dans le plexus solaire du détenu, le laissant plié en deux, le souffle coupé.
Maul s’arrêta net.
Son regard venait de tomber sur un individu parfaitement immobile dans le flot de prisonniers. Pendant un moment, le monde sembla s’arrêter. Tous les bruits s’estompèrent.
C’était lui.
Celui qu’il avait vu aux côtés de Zéro dans l’usine.
Radique.
Le Weequay l’observait au milieu de la foule, un faucon griffu perché sur l’épaule. Il sortit un bout de suif bantha de la poche de son uniforme et le tendit à l’oiseau. La nourriture grasse disparut en un clin d’œil et le Weequay piocha un autre morceau. Le rapace le goba plus vite encore, agitant la tête pour faire descendre le repas dans sa gorge.
La boîte en métal de Coyle toujours serrée contre sa hanche, Maul bouscula les détenus pour rejoindre le Weequay. Quand il atteignit l’endroit où il l’avait aperçu, il avait disparu.
Maul chercha de tous côtés. Les couloirs étaient vides à présent, les retardataires rejoignaient leurs cellules pour la sélection. L’alarme continuait de retentir.
Tu es si près du but. Tu ne peux pas t’arrêter.
Maul tourna les talons et faillit entrer en collision avec un gardien, qui lui lança un regard noir.
— T’as entendu le clairon. Pourquoi n’es-tu pas dans ta cellule ?
— J’y vais.
Le gardien fixait la boîte métallique.
— Une seconde, minable. Qu’est-ce que c’est que ça ?
— Je l’ai récupérée dans une pile de la décharge.
— Qu’est-ce qu’il y a dedans ?
— Rien.
— Rien ?
Le gardien lui arracha la boîte des mains, souleva le couvercle et la renversa. Un tas d’os tomba bruyamment sur le sol. Le gardien donna un coup de pied dedans et jeta la boîte.
— File dans ta cellule.