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Y a-t-il un fantôme ?

— Qu’est-ce que… ?

Assise à son bureau, Sadiki Blirr suivait les événements du hangar. Elle venait de voir le droïde de levage pivoter une dernière fois et s’écraser contre le mur.

— Au rapport. Que se passe-t-il en bas ?

À ses côtés. 3D ne réagit pas. Le droïde essayait en vain de communiquer avec l’unité de levage depuis plusieurs minutes et son silence n’était pas rassurant.

— Toutes mes excuses, directrice.

3D retira son interface de la console murale.

— Je crains que le motivateur du droïde de levage n’ait été trafiqué manuellement. Je ne peux pas y accéder d’ici.

— Trafiqué manuellement, qu’est-ce que tu veux dire ?

— Quelqu’un l’a reprogrammé sur place.

— C’est absurde.

Sadiki poussa un juron, sans quitter l’écran des yeux. Le corps décapité et piétiné de Vesto Slipher était étendu sur le sol, pratiquement méconnaissable. Elle n’avait aucune idée de ce que le Muun était allé faire là et elle s’en moquait. La vue de son cadavre provoquait en elle une violente migraine. Mais elle allait devoir gérer ce mal de crâne et le moment était particulièrement mal choisi. Elle consulta le chrono.

— Quelle est l’heure d’arrivée de la barge pénitentiaire ?

— Le Purge devrait être ici dans trente minutes.

— C’est confirmé ?

— Le capitaine Styrene m’a contacté quand le vaisseau a quitté l’hyperespace. Je n’ai pas de nouvelles depuis.

Trente minutes. Sadiki se leva en agrippant la table des deux mains et resta dans cette position sans bouger, pour évaluer la situation. En soi, un dysfonctionnement de droïde et la mort soudaine d’un représentant du CBI n’étaient pas catastrophiques, mais étant donné les enjeux du moment, elle devinait que derrière ces événements se cachait quelque chose de bien plus dangereux.

D’abord, pourquoi Dakarai avait-il disparu ? Où était son frère quand elle avait plus que jamais besoin de ses conseils ?

— Directrice, j’ai Chlorus en ligne, le commissaire aux jeux. Dois-je lui demander de laisser un message ?

— Oui.

Elle réfléchit et se ravisa.

— Non, attends, passe-le-moi.

Le visage de Chlorus apparut à l’écran. Il n’attendit pas qu’elle le salue.

— Sadiki, qu’est-ce qui se passe chez vous ?

Elle sourit avec une aisance qui la surprit.

— Commissaire. Vous avez l’air en forme.

Chlorus l’arrêta d’un geste de la main.

— Vous agissez en violation directe des ordres de la Commission, qui vous avait enjoint de mettre fin à vos matchs. Et on vient de m’informer d’une hostilité croissante entre gardiens et détenus.

— Je ne savais pas que la réforme pénitentiaire relevait des compétences de la Commission des jeux.

— Ne vous aventurez pas dans cette direction, Sadiki. Ne me mettez pas dans cette position.

— Au contraire, commissaire. C’est vous qui m’avez mise dans cette position. Il y a longtemps.

Le ton de Sadiki avait changé, il s’était assombri. Elle ne quittait pas l’écran des yeux.

— Je ne vois pas…

— Je ne voulais pas en parler, mais vous ne m’avez pas laissé le choix.

Elle encoda une suite de commandes dans la console holo et une série d’images se superposèrent à l’écran.

— Vous reconnaissez cet endroit.

Chlorus ne répondit pas tout de suite.

— Bien sûr. C’est l’hôtel-casino Outlander, sur Coruscant.

— Où nous avons fait connaissance, lui rappela Sadiki tandis qu’une nouvelle série d’images apparaissait. Vous vous souvenez de ceci ?

Le visage blême, Chlorus étudia les photos de surveillance.

— Où avez-vous obtenu ces…

— Aucune importance. Ce qui compte, c’est comment les membres du conseil d’administration réagiraient en apprenant qu’un commissaire respecté s’est retrouvé avec une gérante de casino jeune et impressionnable dans une position qui est, vous devez bien l’admettre, très compromettante.

Elle se pencha un peu en avant.

— Voyez-vous les images clairement ? Je peux augmenter la bande passante si vous voulez. Il y a de très bons clichés de…

— Ces photos ne prouvent rien !

— Vous avez raison. Je devrais peut-être les transmettre à la Commission et leur laisser le loisir de tirer les conclusions.

Elle attendit un instant.

— À moins que vous n’ayez une autre suggestion ?

Les épaules de Chlorus s’affaissèrent.

— Ça suffit. Que voulez-vous ?

— Ah, fit Sadiki avec un hochement de tête approbateur. Nous progressons. Voici ce qui va se passer. Dès que cette conversation s’achèvera, vous allez lever l’interdiction des matchs, vous allez réinstaurer les droits et les privilèges d’organisation de paris d’Engrenage Sept, en vertu des règlements de la Commission, rendant le pénitencier complètement opérationnel, avec effet immédiat.

— Je ne peux pas…

— Et, coupa-t-elle, je veux que vous contactiez votre ami Lars Winnick au CBI pour lui expliquer de façon plausible la disparition inattendue de l’un de ses agents de terrain.

— Quoi ?

— Il s’appelait Vesto Slipher. Je vous enverrai les détails. Peu importe comment vous vous y prendrez, du moment que vous vous arrangiez pour que je ne sois plus soumise à un de ces audits humiliants.

— Sadiki…

Chlorus essaya de desserrer le col de sa tunique.

— Vous surestimez grossièrement l’étendue de mon influence.

— Et vous, Dragomir, vous sous-estimez les dégâts que ces photos de surveillance pourraient infliger à votre carrière. Vous avez accompli de belles choses pour la Commission et pour les relations entre communautés de parieurs. Vous avez permis aux revenus galactiques d’établir de nouveaux records. Un homme comme vous pourrait devenir Sénateur un jour… et après ça, qui sait ?

Elle laissa ses paroles produire leur effet, car elle savait pertinemment qu’elles flatteraient son ego surdimensionné.

— Voulez-vous vraiment gâcher tout ça pour une aventure sans lendemain avec une gérante de casino ?

Chlorus l’examina. Une légère moustache de transpiration humectait le dessus de sa lèvre supérieure et ses yeux étaient rouges. Il finit par secouer la tête.

— J’avais oublié à quel point vous étiez obstinée quand vous voulez quelque chose.

— Ne l’oubliez plus, conclut Sadiki.

Avant qu’il ne puisse répondre, elle appuya le bouton pour couper la transmission. Elle entendit 3D approcher pour lui resservir du caf.

— Si je peux me permettre : bien joué.

— C’était un jeu d’enfant.

Elle lui tendit sa tasse.

— Où est le détenu 11240 ?

3D se tourna vers elle sans comprendre.

— Pardon ?

— Efface les écrans. Affiche les tunnels et les ascenseurs qui sortent du hangar. Remets les images en arrière de cinq minutes. Tout de suite.

Les holo-écrans clignotèrent et changèrent d’affichage pour montrer une dizaine de passages qui permettaient de quitter le hangar.

Sadiki prit le temps d’examiner chaque écran individuellement et en profita pour réfléchir à ce qui venait de se passer. Son intention de départ n’était pas de montrer à Chlorus les photos de surveillance. Non parce qu’elle ne voulait pas l’humilier – la réputation de cet homme, comme son immense vanité et ses ambitions politiques non dissimulées lui importaient peu –, mais parce que ces images représentaient son ultime moyen de pression, et le plus puissant, pour influencer la Commission des jeux. Son instinct de prédateur lui conseillait de garder les précieuses images pour les exploiter à leur valeur maximale. Maintenant que c’était fait…

Elle s’immobilisa et ses pensées s’interrompirent net quand elle aperçut à l’écran une étrange tache bleue dans le coin d’un turbo-ascenseur. On aurait dit une erreur d’affichage, comme une vague de chaleur légèrement décolorée autour de l’orifice d’un conduit d’évacuation.

Sauf que les ascenseurs n’étaient pas équipés de conduits et que…

La tache bougea.

Sadiki se pencha en scrutant l’image.

Quelque chose se déplaçait dans la cabine.

Quelque chose qui ne voulait pas être vu.

Elle déclencha l’alarme.