Ils se groupaient par vingt ou trente, et le dernier homme mourait sur ses compagnons amoncelés. Ogier galopait de haut en bas de la plage, rugissant des ordres et prêtant main forte ici ou là. Blade sourit faiblement. Un beau guerrier, cet Ogier, et un capitaine avisé. Parmi tout l'héritage légué par l'Izmir, Ogier était le trésor le plus précieux; Thane, sans la boisson, aurait été son égal, mais Thane avait des excuses. Il était rongé par un chagrin que ne connaissait pas Ogier.

Enfin, Ogier envoya une fumée bleue. La victoire. Tout était fini sur la plage. Quelques minutes plus tard un courrier arriva de la part d'Ogier et chercha Blade parmi les officiers. Il devait être descendu du dernier transport de troupes car son armure était neuve, sans aucune trace de sang, sa figure propre et son cheval frais. Les vétérans de Blade le considérèrent sans aménité, en marmonnant entre eux. Le courrier rougit mais s'approcha de Blade la tête haute et le salua.

Le capitaine Ogier t'envoie ses compliments, prince, et te fait dire que la plage est prise. Nos pertes, à la première estimation, sont de huit mille morts et autant de blessés. Le capitaine dit...

Et Loth Bloodax? interrompit Blade avec impatience. Et un guerrier nommé Galligantus ? Où sont-ils ?

J'y viens, prince. On ne sait rien de ce Galligantus mais Loth Bloodax nous a échappé. Il a fui.

Comment est-ce possible? protesta Blade. Des ailes lui ont poussé, peut-être, ou il a emprunté celles d'un de ses hommes de cuir morts? Que me racontes-tu, soldat? Que ce Bloodax s'est envolé par-dessus la falaise, ou la mer?

Un officier intervint.

Cet homme ment, prince. C'est impossible. J'ai vu Bloodax acculé contre la paroi de la falaise avec une vingtaine de Zirniens qui l'attaquaient. Il n'avait qu'une poignée d'hommes avec lui, pas plus de six ou sept.

Blade le fit taire. Il attendit. Le courrier savait ménager ses effets. Il prit son temps avant de reprendre la parole :

Loth Bloodax s'est enfui dans la falaise, prince. Il avait dû prévoir sa ruse dès le début et il a combattu dans cette direction. Il y a une ouverture dans la paroi, une fissure adroitement dissimulée et invisible à plus de six pieds. Elle conduit dans un souterrain, un tunnel si étroit, si sombre et tortueux que le capitaine Ogier n'a pas voulu y envoyer d'hommes à sa recherche. C'est ce qu'il me prie de t'expliquer, et aussi de te dire qu'il regrette, qu'il a fait tout ce qu'il a pu. As-tu une réponse pour lui, prince?