CHAPITRE PREMIER

La calvitie n'avait jamais beaucoup inquiété Richard Blade. Il était encore trop jeune, et ses cheveux bien trop drus. La vieillesse, la sénilité, tout cela était loin. S'il vivait. S'il survivait à ce dernier voyage qu'il devait effectuer dans la Dimension X.

Mais pour le moment il était chauve. Il portait une fort coûteuse perruque - gracieusement offerte par le gouvernement de Sa Majesté - et sous son crâne rasé, implanté dans la dure-mère enveloppant son lobe frontal gauche, il y avait un disque de cristal mince comme une hostie. Le cerveau de Blade était en communication directe avec l'ordinateur de Lord Leighton. Ce monstre, formé de neuf ordinateurs de la septième génération, disait à Blade précisément ce qu'il devait faire. Pour le moment, il lui ordonnait de quitter Bays- Water Road à Marble Arch et de s'engager dans Piccadilly, puis de tourner à droite pour passer devant le palais de Buckingham et gagner Pall Mail.

Nul n'aurait pu deviner en le voyant qu'il n'était pour le moment guère plus qu'un automate. Ce n'était d'ailleurs pas tout à fait vrai. L'ordinateur, sous l'impulsion de Lord L, guidait ses pas, mais n'influait pas autrement sur ses sens. Il rendait leurs sourires aux jolies filles qu'il croisait et poursuivait allègrement sa promenade. En dépit de la mince plaque de cristal implantée dans son cerveau il restait Richard Blade, un jeune géant séduisant et musclé. Il était passé cinq fois par l'ordinateur, bientôt il partirait pour son sixième et dernier voyage et ensuite il serait libre. Il pourrait recommencer à travailler pour J et pour le M16, au lieu d'appartenir à Lord L et au M16A, et en ses trente ans d'existence rien ne l'avait plus réjoui. C'était presque fini. Plus qu'un seul plongeon dans les dangereux mystères... et il aurait fait son temps, servi l'Angleterre, Sa Gracieuse Majesté et le monde occidental, et il pourrait de nouveau vivre sa vie.

La dernière fois ! Il héla un taxi et pria le chauffeur de le conduire à la Tour de Londres.

Le courant électrique le traversa comme un flot de sang. Pendant un instant il éprouva une douleur atroce, insoutenable, et puis son corps disparut et avec lui la souffrance; il ne fut plus qu'un cerveau au sommet d'une tige.