71.

Le momificateur principal de la nécropole thébaine était à la fois envié et détesté. Envié, parce que de nombreux pots-devin complétaient son salaire; détesté, car il accomplissait une sale besogne en extrayant les viscères de cadavres, opération indispensable avant de transformer la dépouille en corps osirien et support de résurrection.

Et puis il exploitait à merveille la situation, particulièrement favorable en raison de la pénurie de tombes! L'administration l'autorisait à vendre des sépultures entières ou des parties de celles-ci à des particuliers en quête d'une dernière demeure.

Chaque transaction lui rapportait gros, et il touchait des rému-nérations occultes lorsqu'il effectuait des momifications de première classe, exigeant de nombreux produits et un outillage varié. Aussi abandonnait-il les pauvres et les petits bourgeois à ses assistants. Sommairement embaumés, ils seraient desséchés par le sable du désert. Lui savait manier les scalpels, le fer recourbé servant à extraire le cerveau, les produits dissolvants, les conservateurs et les parfums. Ces substances coûteuses, parfois rares, faisaient l'objet d'un commerce florissant.

La mort enrichissait le momificateur principal, certain de ne jamais manquer de clients désireux d'avoir une momie parfaite et une confortable demeure d'éternité. Le moment était venu d'augmenter ses tarifs.

— On vous demande, l'avertit son assistant.

315

LA VENGEANCE DES DIEUX

— Un fonctionnaire de la rive Est?

— Non, un étranger richement vêtu.

— Un futur acheteur... Laisse-le patienter un moment.

Celui-là, il paiera le prix fort !

***

À la surprise de Bébon, le plan prévu s'était déroulé sans anicroche. Le vendeur de balais, les vêtements, le lingot d'argent, le préposé au bac, le guide... Pas une fausse note. Au débarcadère, le contrôle n'avait été qu'une formalité.

Kel et lui se retrouvaient dans un endroit sinistre, une sorte de village formé des ateliers de momification. D'étranges odeurs agressaient les narines, et les employés, le dos voûté, se déplaçaient en silence. Vent du Nord lui-même semblait mal à l'aise.

— Le piège, estima Bébon, c'est maintenant ! On va nous transformer en momies. Tu as vu la tête de ces bonshommes ?

Ils me glacent le sang.

— Nous touchons au but, affirma Kel, imperturbable.

— Drôle de fin, au milieu de ces embaumeurs !

Un quadragénaire au front bas vint les chercher.

— Le patron vous attend.

Les murs de son antre étaient recouverts de noir de fumée.

Sur des tables basses, d'inquiétants outils au tranchant aiguisé.

Le momificateur examina le scribe de la tête aux pieds.

— Renvoie ton domestique.

Bébon ne fut pas mécontent de retourner à l'air pur.

— D'où viens-tu ? demanda le maître des lieux à son visiteur.

— Je suis riche, très riche, et je paierai un bon prix ce que je désire.

— Louables intentions ! Et que désires-tu? Une momification de première classe et une tombe ancienne chargée de magie, je suppose ?

— Tu te trompes, je veux un trésor.

316

LA DIVINE ADORATRICE

Le momificateur fut intrigué.

— C'est toi qui te trompes d'interlocuteur.

— Rassure-toi, mes renseignements sont exacts. Je veux les quatre vases canopes appartenant au prédécesseur du grand intendant Chéchonq.

— Ah, cette vieille histoire ! Ils ont été égarés.

— Toi, tu connais leur emplacement.

— Je ne suis pas un voleur !

— T'ai-je accusé ? Simple transaction commerciale : tu vends, j'achète.

— Je ne possède pas ce trésor-là.

— Refuserais-tu de l'échanger contre deux lingots d'argent ?

Un long silence succéda à cette question. Le momificateur peinait à maîtriser son émotion et tentait d'imaginer l'ampleur de sa nouvelle fortune.

— Une vieille histoire... Mais la mémoire pourrait me revenir.

— Prends ton temps, recommanda Kel.

— Deux lingots d'argent... Tu te moques de moi !

Montre-les.

— Je te donne le premier.

Les yeux du momificateur sortirent de sa tête. Il caressa la merveille.

— Le second, précisa Kel, tu le recevras après m'avoir remis les quatre vases.

— Et si je me contentais de celui-là ?

— Tu n'en profiterais pas longtemps. Mes amis détestent les malhonnêtes.

— Je plaisantais, voyons ! Allons chercher ton dû.

Le momificateur guida le scribe jusqu'à la nécropole proche du temple de Deir el-Bahari. Là avaient été creusées d'immenses tombes, comportant des superstructures en brique crue et de vastes cours à ciel ouvert donnant accès à de nombreuses chambres souterraines. Les parois étaient couvertes de scènes 317

LA VENGEANCE DES DIEUX

inspirées des mastabas' du temps des pyramides, prolongeant ainsi la tradition de l'âge d'or.

— Voici la demeure d'éternité du prédécesseur de Ché-

chonq, précisa le momificateur. Son sarcophage repose au fond d'un puits très profond. Après l'inhumation, il fut rempli de sable, rendant les richesses du défunt inaccessibles. Mais il existe un autre puits relié au caveau par un couloir voûté. Je crois me souvenir que les quatre vases ont été cachés là.

— Passe en tête.

Le momificateur ôta quelques briques et, d'une cache, sortit une corde à noeuds. Il la fixa solidement à une poutre et entama la descente.

Hésitant, Kel le suivit.

À aucun moment, il ne devait relâcher sa vigilance car son guide n'avait forcément qu'une idée en tête : se débarrasser de lui. Il ne croyait pas au second lingot et se contenterait de la fortune si facilement acquise.

Le scribe atteignit le fond du puits secondaire. En partait un couloir étroit.

— Tu es arrivé juste à temps, révéla le momificateur. La semaine prochaine, je comptais le remplir de sable.

— Et tu aurais perdu les vases ?

— Pour qui me prends-tu ? J'avais prévu une autre cachette.

— Sors-les.

Le technicien fit pivoter l'une des pierres du couloir.

— Viens voir.

Les quatre canopes reposaient à l'intérieur d'une niche. En albâtre, d'une rare élégance, les vases étaient d'authentiques chefs-d'oeuvre.

À l'instant où Kel extrayait le premier, le momificateur s'enfuit en courant. Il grimpa à la corde avec une rapidité extraordinaire et, parvenu à l'orée du puits, la ramena à lui.

1. Nom donné aux tombes de l'Ancien Empire. Ce mot arabe, signifiant « banquette », évoque la superstructure de ces monuments.

318

LA DIVINE ADORATRICE

— Tu auras une belle sépulture ! cria-t-il à l'intention du scribe. Sous la masse de sable qui va t'ensevelir, personne n'ira te rechercher.

Le malfaisant ne savoura pas longtemps son succès.

Soudain, un choc violent à la nuque, la vue brouillée et l'évanouissement.

Le coup de gourdin de Bébon avait été fort et précis.

Écartant du pied le corps inerte, il remit la corde en place.

— Tu es toujours en bas, Kel ?

— J'ai les quatre vases !

— Remonte doucement, ne les casse pas !

L'opération s'effectua sans difficulté.

— Vent du Nord et moi avons dû neutraliser les deux assistants de cette ordure, expliqua Bébon. Ils ont manqué de promptitude. Eux et leur patron souffriront de solides migraines.

Le comédien reprit le lingot d'argent.

— Nous le redonnerons au temple, décida Kel.

Bébon redoutait cette rigueur morale. Malheureusement, pas question de discuter.

Le scribe déposa délicatement les vases dans les sacoches de Vent du Nord, et le trio se dirigea vers l'embarcadère.

La divine adoratrice - Tome 2
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