56.

Le soleil dissipa les derniers nuages. Ne s'éteignant qu'à l'aube, le terrifiant orage avait causé des dégâts considérables, et un vent d'est d'une rare puissance continuait à souffler.

Sortant du temple d'Osiris où les mercenaires n'avaient trouvé que des prêtres, le juge Gem s'immobilisa devant le cadavre de Péfy. Pourquoi ce ministre exemplaire s'était-il ainsi égaré ?

— Enterrez-le, ordonna le magistrat aux soldats.

Le commandant de la garnison serait suspendu quelques jours pour indiscipline, et Gem rédigerait un rapport détaillé à l'intention du roi Amasis.

Une partie du quai avait été détruite, tous les bateaux étaient gravement endommagés.

— Deux ont sombré, précisa un marin, et celui du ministre a disparu.

— Quelqu'un l'a-t-il vu partir? demanda le juge.

On trouva un témoin, encore choqué.

— À cause de la pluie battante, je ne distinguais pas bien.

Mais je suis sûr d'avoir aperçu un couple monter à bord avec un âne. Puis le bateau s'est brusquement détaché du quai, et le courant l'a emporté à une vitesse incroyable.

— Il se sera disloqué, avança le marin, et les passagers auront péri noyés.

247

LA VENGEANCE DES DIEUX

— Nous allons entreprendre des recherches, décida le juge Gem.

— Les réparations nécessiteront du temps !

— D'autres bâtiments de la police ne tarderont pas.

— Sauf votre respect, ces investigations sont inutiles.

Même un marin expérimenté ne saurait survivre à une telle tempête. Crocodiles et poissons ne laisseront rien des cadavres.

***

Hénat visita plusieurs temples des millions d'années de la rive ouest, notamment ceux de Ramsès II' et de Ramsès III 2, gigantesques édifices entourés d'annexes. Entrepôts, ateliers et bibliothèques continuaient à fonctionner.

Quatre serviteurs satisfaisaient les moindres exigences du directeur du palais royal et s'assuraient de son confort. Hénat s'entretint avec un bon nombre de responsables, s'intéressant à leurs méthodes de travail et à leur manière de résoudre les difficultés.

Au Ramesseum, il interrogea longuement le technicien préposé à la fabrication des papyrus de qualité supérieure, les seuls utilisés pour la rédaction des rituels. L'artisan les livrait notamment à la Divine Adoratrice et se rendait fréquemment à Karnak. Il était aussi le chef du réseau chargé d'informer Hénat.

— Quel honneur de vous accueillir à Thèbes !

— Oublions les formules de politesse. J'ai besoin de renseignements précis.

— Ici, calme plat. La province est tranquille, les temples gèrent l'économie à la satisfaction générale et l'on se préoccupe surtout de vénérer les dieux.

— Parle-moi du grand intendant Chéchonq.

— À la fois théologien et administrateur, il bénéficie de 1. Le Ramesseum.

2. Medinet Habou.

248

LA DIVINE ADORATRICE

l'estime des dignitaires comme de celle du peuple. En dépit de son apparence pataude et de son amour de la bonne chère, c'est un travailleur acharné et méticuleux. Intransigeant, il ne supporte ni les paresseux ni les incapables. La Divine Adoratrice ne s'est pas trompée en le nommant au poste de grand intendant.

— L'as-tu rencontrée récemment ?

— Elle est invisible depuis deux mois. Selon de proches serviteurs, sa santé se dégraderait rapidement. Elle continue cependant à célébrer certains rites mais ne franchit pas l'enceinte de Karnak et demeure la plupart du temps dans son palais.

— Chéchonq lui rend-il visite ?

— Au moins trois fois par semaine. Il doit la consulter avant de prendre des décisions importantes concernant la gestion de la province. Ces derniers jours, elle a refusé de le recevoir. D'aucuns pensent qu'elle agonise.

Ainsi, Chéchonq ne mentait pas. Prudent, Hénat voulait une certitude absolue.

— Connais-tu le médecin de la Divine Adoratrice ?

— Il m'a déjà soigné. C'est un homme affable et très compétent.

— Apprends-lui que je suis souffrant et envoie-le à mon logement de fonction. Le grand intendant n'aurait-il pas financé une milice secrète ?

— Soyez rassuré, seigneur ! Réduites au minimum, les forces de sécurité sont loin de former une armée. Les gardes de Karnak se contentent de surveiller les accès du temple. Le rayonnement spirituel de la Divine Adoratrice demeure considérable, mais elle n'a rien d'un chef de guerre.

***

Du bateau du ministre Péfy ne subsistaient que de pauvres débris. La furie du Nil avait disloqué le bâtiment, pourtant d'excellente facture.

249

LA VENGEANCE DES DIEUX

— A-t-on retrouvé des restes humains? demanda le juge Gem aux policiers chargés d'inspecter l'épave, retrouvée près de Dendera, entre Abydos et Thèbes.

— Le fleuve et ses habitants ont tout nettoyé.

Kel, Nitis et Bébon noyés... Probable, en effet.

Sceptique, le juge poursuivit ses investigations plus au sud.

Aucun résultat.

Vu la violence de la tempête qui avait duré plusieurs heures, les chances de survie des fugitifs étaient inexistantes. Le magistrat ne devait-il pas se rendre à l'évidence, conclure à leur disparition et lever les barrages ?

Ils avaient déjà échappé à tant de dangers... Un doute subsistait.

Le juge Gem convoqua un petit groupe de mercenaires et leur donna ses instructions.

***

Portant une lourde sacoche en cuir remplie de médica-ments, le médecin pénétra dans la chambre de Hénat, occupé à lire un rapport de son chef de réseau.

— Je suis venu aussi vite que possible. De quoi souffrez-vous ?

— Je me porte à merveille.

Le thérapeute fronça les sourcils.

— Je ne comprends pas ! On m'a dit...

— Je désirais vous voir, docteur. Officiellement, vous aurez soigné un malade. En réalité, j'ai besoin d'un renseignement.

— À votre service.

— Vous êtes bien le médecin personnel de la Divine Adoratrice ?

— En effet.

— Je veux tout savoir de son état de santé.

— Désolé, impossible. Le respect du secret professionnel fait partie de mes devoirs.

250

LA DIVINE ADORATRICE

— Oubliez-le !

— Impossible, je vous le répète.

— Nous nous comprenons mal, docteur. J'exige une réponse précise. Sinon...

— Vous me menacez ?

— Vous et votre famille. Le roi m'a confié une mission et je la remplirai.

— Vous n'oseriez pas...

— Je dispose des pleins pouvoirs et, à mes yeux, seul compte le service de l'État. Je vous recommande vivement de me répondre.

— Trahir la confiance de ma patiente m'afflige et...

— Cas de force majeure.

Le médecin avala sa salive.

— Vous me demandez beaucoup.

— Seuls vous et moi saurons que vous avez parlé. Vous vous tairez, moi aussi.

Le thérapeute prit une profonde inspiration.

— La Divine Adoratrice souffre de maux divers et incurables.

Coeur usé, poumons fatigués, canaux d'énergie rétrécis.

Étant donné son grand âge, la médication demeure inopérante.

Je peux seulement soulager ses souffrances.

— Accorde-t-elle encore des audiences ?

— Elle n'en a pas la force et refuse même de voir son principal collaborateur, le grand intendant Chéchonq.

— Estimez-vous la Divine Adoratrice... condamnée ?

— Malheureusement oui. Son exceptionnelle résistance lui permettra peut-être de survivre quelques semaines. Si les douleurs devenaient insupportables, je serais contraint de lui administrer des drogues puissantes qui la plongeraient dans le coma. Et je n'exclus pas une crise cardiaque fatale. Cette prochaine disparition sera une immense perte.

— Nous la déplorerons tous, affirma Hénat, ravi d'apprendre ces excellentes nouvelles.

Chéchonq avait dit la vérité, et la Divine Adoratrice ne représentait plus le moindre danger.

251

LA VENGEANCE DES PIEUX

***

En sortant de la demeure du chef des services secrets, le médecin éprouva un intense soulagement. Les mains moites et le dos trempé de sueur, il s'était comporté à la manière d'un équilibriste terrorisé par la froideur de Hénat. Parvenant à se maîtriser, il avait suivi les directives de son auguste patiente : persuader ce redoutable personnage qu'elle se trouvait au seuil de la mort, impotente et incapable d'agir. Il confirmait ainsi le témoignage du grand intendant et dissipait définitivement les doutes du chef des services secrets.

La divine adoratrice - Tome 2
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